Des vidéosurveillants un peu schizos

Le 2 juillet 2012

Un rapport du Comité interministériel de prévention de la délinquance, achevé le 14 avril dernier mais largement ignoré jusqu'à présent, met en évidence la dimension un tantinet schizophrène de la vidéosurveillance. Les auteurs louent les caméras. Mais ils déplorent qu'elles utilisent 60% du budget, au détriment d'autres actions. Qui impliquent de l'humain par exemple.

La meilleure façon de lutter contre la délinquance est de soutenir l’installation des caméras sur la voie publique : c’est la conclusion du dernier rapport du Comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), rédigé pour le Parlement et achevé le 14 avril dernier (pdf). Mais c’est une conclusion couteuse. En 2011, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), que gère ce comité, a consacré 30 millions d’euros sur les 50 millions de son budget total à la vidéoprotection (on ne parle pas de vidéosurveillance dans la novlangue instituée par la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – Loppsi 2).

Cinglant

Rien d’étonnant pour ce fonds créé en 2007 pour mettre en Å“uvre les mesures de la loi sur la prévention de la délinquance. En 2008, il consacrait déjà la moitié de ses moyens à cet outil fétiche de l’ère Sarkozy, et en 2012, ce sera 60%, comme l’année passée. Et il n’est pas sûr que la situation évolue avec le nouveau ministre de l’Intérieur Manuel Valls, parfois sensible aux principes chers à Alain Bauer (très écouté sur ces sujets par Nicolas Sarkozy), incarnant cette gauche “décomplexée” sur les questions de sécurité.

D’emblée, le CIPD se félicite que la vidéosurveillance “a connu en 2011 comme les années précédentes un réel succès grâce à la mobilisation conjointe des préfets et de la mission pour le développement de la vidéoprotection”. Et pour cause : comme le déplorait la Cour des comptes dans son cinglant rapport, les préfets sont à la fois juges et parties puisqu’ils délivrent les autorisations d’installation des systèmes (en contrôlant, en théorie, leur pertinence) mais sont aussi chargés, par le ministère de l’Intérieur, de développer la vidéosurveillance.

Le comité se réjouit que “l’analyse des actions aidées démontre une augmentation du financement de CSU (centre de sécurité urbaine, ndlr) et de déports ce qui traduit une montée en puissance d’une vidéoprotection axée sur l’efficience”.

Caméras myopes contre le terrorisme

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Chiffres à l’appui, le CIPD tente de convaincre que “l’utilité en matière d’élucidation et de dissuasion est incontestable”, avec des arguments de sophiste. De nombreux rapports, à l’exception de celui financé par le ministère de l’Intérieur, ont pourtant démontré l’inverse.

0,22 réquisition par caméra par an

Détaillant le cas de la RATP, le CIPD explique que la régie possède un réseau de 27.135 caméras (métro, RER, bus et tramway), utilisées 6000 fois par an par les forces de police, dans le cadre de réquisition. Soit le chiffre mirobolant de 0,22 réquisition par caméra par an. Au prix des caméras, de l’entretien et des agents qui scrutent (parfois) les écrans, il serait intéressant de calculer ce qui est plus “rentable” : des hommes sur le terrain ou des caméras à tout bout de champ.

On apprend que “pour la septième année consécutive, leur utilisation à des fins judiciaires a progressé : près de 4000 vidéos ont été dupliquées, soit une augmentation de 5% par rapport à 2010″. Sans que l’on sache dans quelle mesure les bandes ont été déterminantes pour résoudre des affaires.

On découvre aussi que “l’exploitation par la police de la vidéoprotection permet d’afficher un taux d’élucidation de 50% des méfaits commis dans le métro alors qu’il est de moins d’un tiers pour les affaires se déroulant sur la voie publique.”

Cela revient d’une part à comparer des choux et des carottes : ils auraient tout aussi bien pu prendre pour point de comparaison les lieux privés. De plus, sur les 50 % de cas élucidés, le CIPD ne précise pas, là encore, dans combien de cas la vidéosurveillance a été déterminante.

Curieusement, si le CIPD détaille le dispositif de vidéosurveillance de la SNCF (“19 000 caméras, 7800 dans les gares dont 5500 en ÃŽle-de-France”, etc.), il ne donne en revanche aucun détail sur son utilisation judiciaire.

Glosant sur les transports publics, le CIPD note que “l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT), chargé de suivre le déploiement de la vidéoprotection dans les transports et de recenser les bonnes pratiques, a constaté que l’utilisation associée de la vidéoprotection et de la cartographie présente des résultats probants. Outil préventif encore peu développé en France, la cartographie est pourtant un instrument complet dont la portée stratégique en matière de politique de prévention de la délinquance n’est plus à démontrer dans de nombreux pays.”

Pourtant l’ONDT et la Commission nationale de la vidéoprotection (CNV) sont chargées de mener la réflexion sur le sujet depuis respectivement en 2008 et 2007.

Astuce

Consacrer 60 % de son budget à un seul poste, c’est forcément laisser la portion congrue aux autres. Pour masquer cette misère, le CIPD a trouvé une astuce toute simple mais aussi très bête : calculer la part que chacun représente au prorata du budget du FIPD hors vidéosurveillance. Armée d’un super-ordinateur, nous avons calculé la vraie part de chaque poste (placez la souris sur le graphique pour afficher les sous-titres) :

Tout au long de la partie consacrée au financement de la prévention par le FIPD, le comité interministériel de prévention de la délinquance ménage la chèvre et le choux en taclant à de nombreuses reprises les orientations du fonds. Des critiques absentes du précédent rapport, achevé il est vrai au mois d’avril, alors que le vent n’avait pas tourné de façon quasi-définitive en faveur de François Hollande. Le CIPD reconnait elle-même que cette répartition des fonds pose problème :

1.1.2 Le financement des actions hors vidéoprotection reste difficile.
Selon ces critères d’attribution et en tenant compte des attributions antérieures, les enveloppes départementales du FIPD (hors vidéoprotection) se sont échelonnées entre 26 000 euros et 1,3 million d’euros, l’enveloppe moyenne déléguée étant de 200 000 euros par département.
Compte tenu du montant de l’enveloppe (hors vidéoprotection) qui leur est délégué, plusieurs préfets rencontrent des difficultés pour arrêter leur programmation. Cette contrainte est largement accrue par une certaine inertie dans les attributions de subventions. En effet, la logique de reconduction systématique limite fortement les possibilités pour financer des actions nouvelles et impulser des actions novatrices.

Alors que le FIPD a grassement financé la vidéosurveillance en dépit des rapports sur son peu d’impact, la CIPD déplore :

L’évaluation des actions financées par le FIPD est trop peu développée. En effet, si de nombreuses actions disposent d’indicateurs de réalisation, plus rares sont celles qui se sont dotées d’une démarche d’évaluation partenariale intégrant une mesure de l’atteinte des objectifs et de l’impact.

Toutefois, le CIPD reste sur un discours ambivalent, à l’image de ce que le sociologue Laurent Mucchielli, spécialiste de la sécurité, qualifie de “schizophrénie du FIPD : il est censé mettre le maire au centre des politiques de prévention mais dans la réalité, le pouvoir central a mené une politique directive en imposant de mettre en Å“uvre ses préconisations. Les collectivités ont critiqué ce dirigisme.” Élus, soyez maitre de votre politique de prévention, à condition qu’elle rentre dans le champ de ce que le gouvernement recommande…
Le CIPD appelle ainsi des actions “plus intégrées dans les stratégies locales portées par des communes”, pour ensuite rappeler que le FIPD “vise en particulier à encourager les communes à mettre en Å“uvre les dispositions de la loi de 2007.
Sur le chapitre “Prévention de la récidive”, le rapport détaille certaines limites du FIPD… tout en fustigeant au passage les associations ou en prônant l’innovation, alors que des solutions qui avaient fait leurs preuves ont été mises de côté. On se souvient de la police de proximité…

Mais il a été constaté que les actions financées au titre du FIPD bénéficiaient insuffisamment aux jeunes alors que c’est bien à l’égard de ce public, non encore ancré dans un parcours délinquant, qu’un financement par le FIPD prend toute sa dimension.
En outre, les actions soutenues, portées très majoritairement par des associations, ne s’inscrivent pas pleinement dans les dispositifs partenariaux de prévention de la délinquance.
Par ailleurs, il est apparu que le FIPD devait soutenir des champs d’intervention prioritaires (insertion professionnelle, hébergement et logement, accès aux soins, maintien des relations familiales) afin d’agir plus efficacement sur les facteurs de risque de récidive.
Enfin, la plupart des actions financées le sont depuis de nombreuses années laissant peu de place à des actions nouvelles et innovantes.


Photographie d’un centre de contrôle de vidéosurveillance en Italie par _mixer_ [CC-by-sa]

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