Copenhague : élan ou échec ?

Le 14 janvier 2010

Ce billet sera probablement le premier d'une série. Le sujet est vaste, l'expérience de Copenhague a été forte... et je ne sais pas bien comment commencer. Je vais peut-être tout simplement essayer de la raconter.

[NDLR] Sur eco-echos, Isabelle Delannoy fait le bilan du sommet de Copenhague, de l’intérieur. Nous publions ici les deux premiers billets de ce travail en cours.

Ce billet sera probablement le premier d’une série. Le sujet est vaste, l’expérience de Copenhague a été forte… et je ne sais pas bien comment commencer. Je vais peut-être tout simplement essayer de la raconter.

Je suis allée à Copenhague du 10 au 19 décembre. Nous devions suivre le sommet avec Anne Sophie pour le climatoblog (blog dédié et allié aux sites youphil.fr, slate.fr et ecoloinfo.com) et le mouvement tcktcktckt grâce auquel nous avons obtenu nos accréditations. Je suis arrivée quelques jours après le début du sommet et partie le lendemain de la clôture. Pendant ces dix jours, je n’ai fait, comme tous ceux qui étaient là avec moi, autour de moi (notamment Anne So, d’Ecolo-Info, et Laure de Libé, copines de longue date maintenant) que cela : suivre le sommet, voir les acteurs, et il était impossible de tout suivre seul. Nous étions en fait une armada à se répartir les tâches, suivre les négos, les couloirs, analyser…. en travaillant ensemble sans forcément se connaître. En étant connectés aux blogs des uns, aux journaux des autres, et aux twits toute la journée.

Anne Sophie vient d’écrire sur ce sujet aujourd’hui : la force du media participatif, son importance cruciale dans les sujets écologiques, que l’on a vécue très fortement à Copenhague.

L’arrivée à Copenhague était saisissante. La ville semblait battre au rythme de l’espoir que suscitait le sommet. Chaque place majeure était l’occasion d’une exposition.

L'exposition des "Terre", Copenhague 2009

Dans le metro, des agents vous accueillaient et pour peu que vous soyez munis d’un badge (les fameuses accréditations pour le Bella Center le centre des négociations – nous étions 45000 à en avoir une !) les transports devenaient gratuits. Tout ce que le monde pouvait comporter de personnes les plus engagées pour le climat était rassemblé dans quelques km2. Et c’est comme ça que les rencontres improbables devenaient possibles. La preuve ? Rajendra Pachauri, le président du GIEC (faut-il le dire ? !!) croisé dans le métro !

Avec moi !

Avec moi !

Avec Anne-Sophie

Avec Anne-Sophie

Dans le Bella, vous aviez l’impression de voir la diversité du monde réunie. C’était la première semaine. Les élus n’étaient pas encore arrivés, seuls les négociateurs (les “sherpas”) travaillaient et on croisait dans les couloirs bon nombres d’observateur des ONG.

Chaque groupe avait son centre, comme des QG dans la ville : les ONG étaient rassemblées au Klimaforum, les négociateurs politiques au Bella, les entreprises ont tenu leur salon, le Bright Green, les maires le leur quelques jours plus tard, les blogueurs étaient réunis au Fresh Air center, les medias se dispatchaient dans la ville surtout lors des manifs, on les voyait au Klimaforum et surtout au Bella. Chacun de ces groupes a joué une importance cruciale, chacun selon son rôle. Le plus surprenant était de constater combien chacun de ces QG dégageait sa personnalité, avec des méthodes de travail bien différentes. Il y avait des passerelles entre ces groupes, des membres d’ONG ou des blogueurs négociateurs, des blogueurs fédérateurs des ONG (Avaaz, 350.org…)

Le Fresh Air center, mon QG ;)

Le Fresh Air center, mon QG ;)

Je vous ferais bien une carte de Copenhague en situant tous ces QG mais ça me prendrait des plombes. En fait, ça ressemblerait assez à ça !

(Et le village a bien résisté aux envahisseurs ...)

(Et le village a bien résisté aux envahisseurs ...)

Un échec des pays du Sud face aux pays industrialisés : une limitation des hausses des températures fixée à 2°C

Que signifie la limitation des hausses de température à 2 °C ? Elle signifie qu’on se fixe l’extrême limite au delà de laquelle les emballements climatiques sont fortement probables. Au delà de cette limite, les risques pour l’humanité sont trop grands pour être encourus. Un peu comme si on vous disait “au delà de 150 km/h sur une départementale vous êtes à peu près sûr d’avoir un accident mortel”. La limitation à 2°C est donc EXTREMEMENT risquée et c’est la plus haute que l’on pouvait envisager. Au-delà, de nombreuses études sur les climats passés laissent présager un basculement à 3,5°C puis, par d’autres effets de seuil, un basculement à 6°C.(1)
Les pays du Sud, rassemblés dans le G77, par la voie de leur porte parole à Copenhague le Soudanais Di Aping, ont logiquement déclaré concernant la limitation du réchauffement à une température moyenne de 2°C “Pour l’Afrique, cela signifie 3,5 degrés de plus, c’est une sentence de mort.»

+ 2°C : un risque global
En effet le réchauffement n’est pas homogène sur la planète. En outre, les écosystèmes réagissent par pallier. Avant d’atteindre deux degrés, les écosystèmes seront déjà largement bouleversés et la répartition géographique des zones cultivables et habitables le sera aussi. Déjà, on estime à 300 000 le nombre de morts dû au changement climatique. A plus un degré, l’Ouest des Etats-Unis pourrait être frappé de sécheresses pérennes et les fermiers des hautes plaines pourraient se retrouver dans la situation que connaissent actuellement leurs collègues australiens qui en quelques années sont de plus en plus nombreux à devoir laisser leurs terres.
La géographie des Etats insulaires, dont les nappes phréatiques sont déjà touchées par la salinisation due à l’intrusion d’eau de mer, sera aussi redessinée bien avant d’atteindre 2°C. C’est pourquoi regroupés sous le nom d’AOSIS (Alliance of Small Island States), ces Etats demandent impérativement une limitation de la hausse des températures à 1,5°C.

Mais, contre l’avis du plus grand nombre de pays, contre la prééminence des dangers pour des peuples entiers et pour certaines de leurs propres populations, les pays industrialisés ont imposé l’objectif d’une limitation des températures à 2°C, qui leur semblait “la plus politiquement faisable”. Politiquement faisable aujourd’hui mais demain ? Quels risques politiques encourent-ils eux-mêmes ? Mais les chefs d’Etat ont décidément du mal à prévoir au delà de leurs échéances électorales.

Pour mesurer combien le risque encouru est grand, il suffit de savoir que la limitation des gaz à effet de serre de -25 à -40 % pour les pays industrialisés avant 2020, réclamée comme objectif à Copenhague, ne laisse qu’une chance sur deux de ne pas dépasser les 2°C selon l’avis des scientifiques.

J’en ai discuté avec quelques observateurs des ONG sur place “oui mais en dessous de 2°C ce n’est pas politiquement faisable”. Vraiment ? Ne nous voilons pas la face : si nous sommes capables de mettre en place les politiques structurantes pour limiter la hausse des températures à 2°C, qui nécessitent un changement radical de nos infrastructures énergétiques, de notre gestion des écosystèmes et de nos modes de production agricole, alors l’objectif de 1,5°C est tout aussi atteignable que celui des 2°C. La difficulté ne réside pas dans ces 0,5°C , elle réside dans le changement de paradigme que nous devons faire collectivement, citoyens, consommateurs, industriels et gouvernements locaux et nationaux. Pour le moment, les limitations promises par les Etats ou groupes d’état selon des bases volontaires, ne permettent même pas d’atteindre 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et ce sont en effet peut-être les limitations maximales que nous pouvons atteindre dans le paradigme actuel. Cela nous emmènera dans des réchauffements à 3°C, donc dans les niveaux de basculement des températures qui nous amènent tout droit à 6°C.

+2°C : déni de démocratie et greenwashing politique
Ce 2°C, affiché par un grand nombre de media de nos pays comme l’objectif consensuel à atteindre, voire l’objectif donné par les scientifiques n’émane non seulement pas des scientifiques mais même pas de l’ensemble des leaders politiques de la planète ! Il est l’objectif minimal auquel ont consenti les leaders des pays industrialisés, contre l’avis de la majorité des Etats et contre les intérêts de l’humanité et de leurs peuples au niveau national. C’est non seulement un déni de démocratie au niveau planétaire, puisqu’il enterre la voix majoritaire, mais c’est aussi un immense greenwashing politique : nous croyons collectivement qu’atteindre cet objectif nous placera en sécurité alors qu’il placera déjà la société mondiale au mieux dans le chaos, au pire dans des emballements de température ingérables.

La voix de la raison semble ici bien être celle des pays du Sud. Et c’est avec un grand cynisme -ou une grande ignorance- que les chefs d’Etat des 28 pays les plus puissants (et polluants-représentant 90 % des émissions de gaz à effet de serre) ont inclu, dans leur feuille finale, la révision possible de l’objectif de limitation des hausses de températures à 1,5°C en 2015 : il sera de toute façon trop tard.

(1) : Lire notamment l’excellent livre de Mark Lynas, 6°C, que va-t-il se passer ? Aux éditions Dunod.

» Article initialement publié sur Eco-Echos

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