OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Ramones, l’analogique par excellence http://owni.fr/2011/01/13/les-ramones-l-analogique-par-excellence/ http://owni.fr/2011/01/13/les-ramones-l-analogique-par-excellence/#comments Thu, 13 Jan 2011 07:41:54 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=42183 Retrouvez cet article et bien d’autres, sur OWNImusic.

“Hey Ho Let’s Go !”…

Bientôt trente ans que leurs trois accords primitifs et supersoniques ont cueilli comme un uppercut le jeune keupon dingo que j’étais. Et le “One two three four” séminal qui lançait invariablement la machine sonique infernale des Ramones me donne toujours autant envie de pogoter comme un crétin… à 44 ans sonnés haw haw

Drôle de manière de commencer l’an 2011 que de vous parler d’un groupe fondé voilà plus de 35 ans, séparé il y a pile poil 15 ans et dont les membres fondateurs Dee Dee, Joey et Johnny sont tous trois occupés à descendre des bières au Paradis des punk-rockers.

Joey (de son vrai nom Jeffrey Hyman), le chanteur moins demeuré qu’il ne paraissait, s’est fait bouffer par un méchant crabe en 2001. Dee Dee (Douglas Colvin), bassiste et authentique voyou, a été retrouvé tout bleu une piquouze dans le bras en 2002 après une énième détox ratée. Johnny (John Cummings), le guitariste qui jouait plus vite que son ombre, a rejoint ses deux faux-frères en 2004, cancer bis repetita. Seul survivant de la formation originale, le quatrième Ramone, Tommy, qui tapait sur ses fûts comme un bûcheron a quitté le groupe dès 1978 (et poursuit aujourd’hui une paisible carrière de producteur de country… bluegrass). Une vraie série noire qui signait la fin d’une époque No Future.

Mais que viennent donc faire ces loosers proto-punks magnifiques sur ce blog en forme de “Chroniques du Big Bang Numérique”. Pas très raccord avec cette deuxième décennie de XXIème siècle. Plus analogiques que les Ramones ? Tu meurs ! Aucune accroche d’actu, les faux frères (pour les mal-comprenants Ramone était un pseudo-patronyme ;) ne risquent pas de se reformer… sauf dans un foutu film de Zombies de Romero. Et leur musique ? Préhistorique. Limités techniquement l’improbable quatuor a fait de cette faiblesse une force: renouer avec le rock primal des origines en le boostant au surf-garage et au doo-wop des sixties. Leurs morceaux c’étaient en général trois accords bègues joués à la vitesse de la lumière, guitare et basse omni-présente formant un mur du son à faire pleurer Phil Spector (qui les menaça d’une arme sur un enregistrement). Et cette voix de retardé “gabba gabba hey” irrésistible… Oh Joey. L’ensemble donnait une envie irrésistible de sauter en l’air en bousculant ses petits camarades et en souriant comme un abruti (pour les jeunes cette figure de danse s’appelle un Pogo.

Ils ont inventé le mot “Punk”

Un bon Ramones se déguste sur galette vinyle avec le son crade et les craquements vintage de rigueur. Oubliez ces saloperies de lecteurs MP3 totalement apocryphes. Ils ne restituent qu’une scie musicale métallique et froide là où la musique doit être brute, baignant dans son jus de l’époque. Bref moins numériques que les Ramones tu meurs aussi ! Ce groupe de prolos du Queens new-yorkais biberonné aux Stooges d’Iggy Pop et aux Beatles (si si) a juste INVENTE le mot Punk (“vauriens”) et l’attitude rien à foutre de rien qui va avec.

Et ce en trois albums fondateurs sortis à un rythme de mitraillette: The Ramones (1976), “The Ramones Leave Home” (1977) et “Rocket to Russia” (1977). Et une série de concerts immémoriels au fameux club CBGB où ils cotoyaient Patti Smith, Richard Hell et ses Voïvoids, j’en passe et des meilleurs. Sans leur furia new-yorkaise pas d’explosion Anarchy in the UK à Londres, pas de Sex Pistols ni de Clash. Et putain quel look…inimitable et tant imité. Un sacré leg à la mode des années 2000: jean’s slims troués, basquettes converse pourries, cuirs noirs et coupes au bol dans les yeux. On trouve même aujourd’hui des T-shirt portant l’aigle des Ramones chez H&M ou Uniqlo. De la marge underground à la récupération mainstream…cela faisait quelques royalties en plus pour ces vieux punk qui ne furent jamais des millionnaires engraissés par le rock business.

La nostalgie camarade

Les Ramones c’était la famille Pierrafeu jouant tête baissée de la Fender avec une massue, frange grasse dans les yeux. Foin d’échantillonnage et de réédition remastérisé qui tiennent avec ces quatre fous furieux de l’ère proto-digitale.
Alors comment expliquer cet étrange rétropédalage régressif au moment où tout blogueur un peu sérieux dégaine sa prophétie digitale annuelle, après le marronnier internet rétrospectif de rigueur. Et bien l’envie, la fulgurance irrépressible, la liberté du blogueur justement. Mon confrère blog-star Guy Birenbaum et quelques autres compères générationnels comme l’érudit KMS m’ont récemment encouragé sur Twitter dans ce projet de billet.

Bon c’est sûr, ce n’est pas avec ces grands échalas venus d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître que je vais faire de l’audience…

Mais “I don’t Care, I donnn’t Caaare” comme le chantait Joey. Que veux-tu, la nostalgie ça ne se monnaie pas camarade. Elle m’a chopé, la garce, à la faveur d’un cadeau d’avant Noël offert par mon frangin Fred, qui tout en me traitant de sale Geek, sait bien mon vieux penchant pour le rock paléolithique. Le bougre. Je déballe le papier kdo, et merde, je lis sur la jaquette du livre: “Mort aux Ramones” signé Dee Dee, le dit Ramone shooté fièrement (si j’ose dire) sur scène sa FenderPrecision en bandoulière. Et là tout me revient. La troisième, le lycée, mes quatre lads Sylvain, Cédric, Jérôme et Marc, la fièvre keupon du samedi soir… version petits-bourgeois se la jouant destroy (moins un cinquième Punk au premier degré, Pascal, qui lui a fait une OD en vrai). Mais l’amour de cette musique en forme de shoot d’énergie pure était 100 % sincère.

A quinze ans on a tous pris le Punk-Rock des Ramones et des Pistols comme une putain de Li-bé-ra-tion. A l’époque, trois chaînes télé qui se battent en duel (heureusement il y avait “Les Enfants du Rock” de Philippe Manoeuvre qui préface évidemment le bouquin de Dee Dee), pas encore de radio libre (heureusement il y avait Radio 7 concédée par Giscard pour faire patienter les jeunes), et bien sûr pas d’internet, de smartphones et de réseaux sociaux pour s’épancher, délirer et échanger avec ses amis boutonneux. Le téléphone, vraiment fixe pour le coup, était sous bonne garde parentale là haut dans l’entrée. Alors on se retrouvait #IRL à chaque fois que l’on pouvait pour écouter cette incroyable musique. Le “One, two, three, four” lancé par Dee Dee c’était quelque chose qui vous faisait vous sentir libre et vivant et vous donnait envie de tout exploser. Destroy vraiment pour le coup. Écoutez plutôt:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Victor Hugo Punk

Quelle claque isn’t it ? Mais revenons au livre de Dee Dee: “L’un des trois meilleurs bouquins rock de tous les temps” assène le préfacier de rigueur Philippe Manoeuvre. Et en plus traduit par Virginie “Baise Moi” Despentes, la seule plume made in France capable de restituer la fureur et l’obscénité d’une vie de Ramone. Un bouquin en forme de testament sorti en 2001 juste avant l’ultime bad trip de l’auteur (et en 2003 en France au Diable Vauvert) qui renvoie dans sa sincérité et pour la poésie de la rue au tout récent et très beau “Just Kids” de Patti Smith… hum Rimbaud en moins. Quoique. Le livre de Dee Dee débute lui aussi au fameux Chelsea Hotel, “ce que j’ai pu me défoncer dans cet hôtel, et aujourd’hui je suis là pour décrocher”, écrit le Ramone. Et d’envoyer, philosophe, cette phrase définitive comme s’il sentait la grande faucheuse venir :

Si jamais il existe une quelconque logique dans cette vie, alors je voudrais beaucoup la connaître.

Recoller les morceaux de sa pauvre vie en miettes, “renvoyer en enfers tous les souvenirs merdiques“, mais aussi entretenir la mémoire des Ramones et faire oeuvre de transmission avant de passer l’arme à gauche… Dee Dee le fait tout seul comme un grand, dès le début du livre, en pourchassant une libellule dans sa chambre qui devient le dragon imaginaire des femmes de sa vie. Celui de sa mère alcoolique qui était du genre à le poursuivre avec une batte de baseball (d’où la chanson “Beat on the Brat”, bastonne le morveux).

Et celui de sa petite amie mauvais génie Connie bien sûr, qui, était du genre à vouloir l’égorger avec un tesson de bouteille avant de lui dire “Va te faire enculer” en guise de bonne nuit. “C’était en 1974, ou en 1975. Connie était go-go danseuse, j’étais un Ramone. On était tous les deux des junkies”

“Mort aux Ramones” commence ainsi, passe par la prostitution pour la came, les bas-fonds de New-York façon Selby, avant le salut en forme de punk-band, les concerts, les disques, les tournées… le mépris des puristes du rock boursouflé et l’enthousiasme des Kids jusqu’à aujourd’hui qui allaient faire des Ramones une légende toujours vivante du rock’n roll. Je n’en suis qu’aux premières pages du livre alors je m’arrête là et je reviendrai ici pour vous rendre ma fiche de lecture une fois l’objet digéré.

Mais voilà ce qu’en dit Philippe Manoeuvre:

Une superbe tentative de Victor Hugo Punk (…) du Jules Vallès branché 220 volts (…) un livre à l’image de son rock: décapé, désossé, drit au but, phrases de quinze mots aussi courtes que définitives, pas moyen de reprendre son souffle avant la conclusion vicieuse du petit chapitre, tout est restitué en direct, baffes, lignes, shoots, marques d’amplis et accidents de bagnole…une vie.

Ca donne foutrement envie de lire n’est-ce pas ? Dee Dee était un voleur, un toxico, un bagarreur capable de rédécorer votre appart à coup de batte pour un mot de travers. Mais c’était aussi une belle gueule et un gentil garçon. Derrière sa basse il était aussi le compositeur des principaux tubes des Ramones, un peu éclipsé par la voix du géant myope édenté Joey. Voilà en sa mémoire “I wanna be a good boy”. Il aura essayé toute sa vie…sans succès:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les Ramones vous font penser à des personnages de cartoon ? Bingo. Voilà en bonus leur apparition dans un épisode des “Simpsons”. Plus crétins que nature dans une reprise de “Happy Birthday”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et en deuxième bonus, je ne resiste pas au plaisir de vous offrir cet hommage de l’ex-Pixies Franck Black: “I heard Ramona Sing”…Une chanson dans laquelle il explique que les Ramones ont changé sa vie, “I heard Ramona Sing, and I heard everything, the speed they’re travelling…”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Voilà bonnes gens c’était un fragment d’histoire des Ramones, une nouvelle réminiscence de l’ère analogique que j’avais envie de partager avec vous pour tirer un pont entre hier et aujourd’hui. Un pur moment de bruit et de fureur comme on n’en fait plus à l’heure du marketing musical standardisé et de la dématérialisation du rock et de ses poussières d’étoiles passées. Comme l’écrit Philippe Manoeuvre, l’industrie musicale, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, peut dormir tranquille sur ses lauriers fanés:

Qu’on se rassure: dans le rock du troisième millénaire, on ne verra plus trop de voyous comme ce monsieur Dee Dee Ramone.

Belle épitaphe No Future que je fais mienne pour conclure ce billet. Sur sa pierre tombale, Dee Dee a fait plus sobre: “OK…I got to go now” (merci à l’incollable Ulrich pour cette chute encore plus rock’n roll).

*Pour en savoir plus sur les Ramones et leur discographie voir cet article très complet de Wikipedia et le site officiel post-mortem du groupe : Ramones World.

Article initialement publié sur “Sur mon écran radar”

Illustrations CC FlickR Affendaddy, Michael Markos

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Plus analogique que les Ramones? Tu meurs! http://owni.fr/2011/01/09/plus-analogique-que-les-ramones-tu-meurs/ http://owni.fr/2011/01/09/plus-analogique-que-les-ramones-tu-meurs/#comments Sun, 09 Jan 2011 14:00:10 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=29444

“Hey Ho Let’s Go !”…

Bientôt trente ans que leurs trois accords primitifs et supersoniques ont cueilli comme un uppercut le jeune keupon dingo que j’étais. Et le “One two three four” séminal qui lançait invariablement la machine sonique infernale des Ramones me donne toujours autant envie de pogoter comme un crétin… à 44 ans sonnés haw haw :D

Drôle de manière de commencer l’an 2011 que de vous parler d’un groupe fondé voilà plus de 35 ans, séparé il y a pile poil 15 ans et dont les membres fondateurs Dee Dee, Joey et Johnny sont tous trois occupés à descendre des bières au Paradis des punk-rockers.

Joey (de son vrai nom Jeffrey Hyman), le chanteur moins demeuré qu’il ne paraissait, s’est fait bouffer par un méchant crabe en 2001. Dee Dee (Douglas Colvin), bassiste et authentique voyou, a été retrouvé tout bleu une piquouze dans le bras en 2002 après une énième détox ratée. Johnny (John Cummings), le guitariste qui jouait plus vite que son ombre, a rejoint ses deux faux-frères en 2004, cancer bis repetita. Seul survivant de la formation originale, le quatrième Ramone, Tommy, qui tapait sur ses fûts comme un bûcheron a quitté le groupe dès 1978 (et poursuit aujourd’hui une paisible carrière de producteur de country… bluegrass). Une vraie série noire qui signait la fin d’une époque No Future.

Mais que viennent donc faire ces loosers proto-punks magnifiques sur ce blog en forme de “Chroniques du Big Bang Numérique”. Pas très raccord avec cette deuxième décennie de XXIème siècle. Plus analogiques que les Ramones ? Tu meurs ! Aucune accroche d’actu, les faux frères (pour les mal-comprenants Ramone était un pseudo-patronyme ;) ne risquent pas de se reformer… sauf dans un foutu film de Zombies de Romero. Et leur musique ? Préhistorique. Limités techniquement l’improbable quatuor a fait de cette faiblesse une force: renouer avec le rock primal des origines en le boostant au surf-garage et au doo-wop des sixties. Leurs morceaux c’étaient en général trois accords bègues joués à la vitesse de la lumière, guitare et basse omni-présente formant un mur du son à faire pleurer Phil Spector (qui les menaça d’une arme sur un enregistrement). Et cette voix de retardé “gabba gabba hey” irrésistible… Oh Joey. L’ensemble donnait une envie irrésistible de sauter en l’air en bousculant ses petits camarades et en souriant comme un abruti (pour les jeunes cette figure de danse s’appelle un Pogo;).

Ils ont inventé le mot “Punk”

Un bon Ramones se déguste sur galette vinyle avec le son crade et les craquements vintage de rigueur. Oubliez ces saloperies de lecteurs MP3 totalement apocryphes. Ils ne restituent qu’une scie musicale métallique et froide là où la musique doit être brute, baignant dans son jus de l’époque. Bref moins numériques que les Ramones tu meurs aussi ! Ce groupe de prolos du Queens new-yorkais biberonné aux Stooges d’Iggy Pop et aux Beatles (si si) a juste INVENTE le mot Punk (“vauriens”) et l’attitude rien à foutre de rien qui va avec.

Et ce en trois albums fondateurs sortis à un rythme de mitraillette: The Ramones (1976), “The Ramones Leave Home” (1977) et “Rocket to Russia” (1977). Et une série de concerts immémoriels au fameux club CBGB où ils cotoyaient Patti Smith, Richard Hell et ses Voïvoids, j’en passe et des meilleurs. Sans leur furia new-yorkaise pas d’explosion Anarchy in the UK à Londres, pas de Sex Pistols ni de Clash. Et putain quel look…inimitable et tant imité. Un sacré leg à la mode des années 2000: jean’s slims troués, basquettes converse pourries, cuirs noirs et coupes au bol dans les yeux. On trouve même aujourd’hui des T-shirt portant l’aigle des Ramones chez H&M ou Uniqlo. De la marge underground à la récupération mainstream…cela faisait quelques royalties en plus pour ces vieux punk qui ne furent jamais des millionnaires engraissés par le rock business.

La nostalgie camarade

Les Ramones c’était la famille Pierrafeu jouant tête baissée de la Fender avec une massue, frange grasse dans les yeux. Foin d’échantillonnage et de réédition remastérisé qui tiennent avec ces quatre fous furieux de l’ère proto-digitale.
Alors comment expliquer cet étrange rétropédalage régressif au moment où tout blogueur un peu sérieux dégaine sa prophétie digitale annuelle, après le marronnier internet rétrospectif de rigueur. Et bien l’envie, la fulgurance irrépressible, la liberté du blogueur justement. Mon confrère blog-star Guy Birenbaum et quelques autres compères générationnels comme l’érudit KMS m’ont récemment encouragé sur Twitter dans ce projet de billet.

Bon c’est sûr, ce n’est pas avec ces grands échalas venus d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître que je vais faire de l’audience…

Mais “I don’t Care, I donnn’t Caaare” comme le chantait Joey. Que veux-tu, la nostalgie ça ne se monnaie pas camarade. Elle m’a chopé, la garce, à la faveur d’un cadeau d’avant Noël offert par mon frangin Fred, qui tout en me traitant de sale Geek, sait bien mon vieux penchant pour le rock paléolithique. Le bougre. Je déballe le papier kdo, et merde, je lis sur la jaquette du livre: “Mort aux Ramones” signé Dee Dee, le dit Ramone shooté fièrement (si j’ose dire) sur scène sa FenderPrecision en bandoulière. Et là tout me revient. La troisième, le lycée, mes quatre lads Sylvain, Cédric, Jérôme et Marc, la fièvre keupon du samedi soir… version petits-bourgeois se la jouant destroy (moins un cinquième Punk au premier degré, Pascal, qui lui a fait une OD en vrai). Mais l’amour de cette musique en forme de shoot d’énergie pure était 100 % sincère.

A quinze ans on a tous pris le Punk-Rock des Ramones et des Pistols comme une putain de Li-bé-ra-tion. A l’époque, trois chaînes télé qui se battent en duel (heureusement il y avait “Les Enfants du Rock” de Philippe Manoeuvre qui préface évidemment le bouquin de Dee Dee), pas encore de radio libre (heureusement il y avait Radio 7 concédée par Giscard pour faire patienter les jeunes), et bien sûr pas d’internet, de smartphones et de réseaux sociaux pour s’épancher, délirer et échanger avec ses amis boutonneux. Le téléphone, vraiment fixe pour le coup, était sous bonne garde parentale là haut dans l’entrée. Alors on se retrouvait #IRL à chaque fois que l’on pouvait pour écouter cette incroyable musique. Le “One, two, three, four” lancé par Dee Dee c’était quelque chose qui vous faisait vous sentir libre et vivant et vous donnait envie de tout exploser. Destroy vraiment pour le coup. Écoutez plutôt:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Victor Hugo Punk

Dee Dee Ramone

Quelle claque isn’t it ? Mais revenons au livre de Dee Dee: “L’un des trois meilleurs bouquins rock de tous les temps” assène le préfacier de rigueur Philippe Manoeuvre. Et en plus traduit par Virginie “Baise Moi” Despentes, la seule plume made in France capable de restituer la fureur et l’obscénité d’une vie de Ramone. Un bouquin en forme de testament sorti en 2001 juste avant l’ultime bad trip de l’auteur (et en 2003 en France au Diable Vauvert) qui renvoie dans sa sincérité et pour la poésie de la rue au tout récent et très beau “Just Kids” de Patti Smith… hum Rimbaud en moins. Quoique. Le livre de Dee Dee débute lui aussi au fameux Chelsea Hotel, “ce que j’ai pu me défoncer dans cet hôtel, et aujourd’hui je suis là pour décrocher”, écrit le Ramone. Et d’envoyer, philosophe, cette phrase définitive comme s’il sentait la grande faucheuse venir :

Si jamais il existe une quelconque logique dans cette vie, alors je voudrais beaucoup la connaître.

Recoller les morceaux de sa pauvre vie en miettes, “renvoyer en enfers tous les souvenirs merdiques“, mais aussi entretenir la mémoire des Ramones et faire oeuvre de transmission avant de passer l’arme à gauche… Dee Dee le fait tout seul comme un grand, dès le début du livre, en pourchassant une libellule dans sa chambre qui devient le dragon imaginaire des femmes de sa vie. Celui de sa mère alcoolique qui était du genre à le poursuivre avec une batte de baseball (d’où la chanson “Beat on the Brat”, bastonne le morveux).

Et celui de sa petite amie mauvais génie Connie bien sûr, qui, était du genre à vouloir l’égorger avec un tesson de bouteille avant de lui dire “Va te faire enculer” en guise de bonne nuit. “C’était en 1974, ou en 1975. Connie était go-go danseuse, j’étais un Ramone. On était tous les deux des junkies”

“Mort aux Ramones” commence ainsi, passe par la prostitution pour la came, les bas-fonds de New-York façon Selby, avant le salut en forme de punk-band, les concerts, les disques, les tournées… le mépris des puristes du rock boursouflé et l’enthousiasme des Kids jusqu’à aujourd’hui qui allaient faire des Ramones une légende toujours vivante du rock’n roll. Je n’en suis qu’aux premières pages du livre alors je m’arrête là et je reviendrai ici pour vous rendre ma fiche de lecture une fois l’objet digéré.

Mais voilà ce qu’en dit Philippe Manoeuvre:

Une superbe tentative de Victor Hugo Punk (…) du Jules Vallès branché 220 volts (…) un livre à l’image de son rock: décapé, désossé, drit au but, phrases de quinze mots aussi courtes que définitives, pas moyen de reprendre son souffle avant la conclusion vicieuse du petit chapitre, tout est restitué en direct, baffes, lignes, shoots, marques d’amplis et accidents de bagnole…une vie.

Ca donne foutrement envie de lire n’est-ce pas ? Dee Dee était un voleur, un toxico, un bagarreur capable de rédécorer votre appart à coup de batte pour un mot de travers. Mais c’était aussi une belle gueule et un gentil garçon. Derrière sa basse il était aussi le compositeur des principaux tubes des Ramones, un peu éclipsé par la voix du géant myope édenté Joey. Voilà en sa mémoire “I wanna be a good boy”. Il aura essayé toute sa vie…sans succès:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les Ramones vous font penser à des personnages de cartoon ? Bingo. Voilà en bonus leur apparition dans un épisode des “Simpsons”. Plus crétins que nature dans une reprise de “Happy Birthday”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et en deuxième bonus, je ne resiste pas au plaisir de vous offrir cet hommage de l’ex-Pixies Franck Black: “I heard Ramona Sing”…Une chanson dans laquelle il explique que les Ramones ont changé sa vie, “I heard Ramona Sing, and I heard everything, the speed they’re travelling…”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Voilà bonnes gens c’était un fragment d’histoire des Ramones, une nouvelle réminiscence de l’ère analogique que j’avais envie de partager avec vous pour tirer un pont entre hier et aujourd’hui. Un pur moment de bruit et de fureur comme on n’en fait plus à l’heure du marketing musical standardisé et de la dématérialisation du rock et de ses poussières d’étoiles passées. Comme l’écrit Philippe Manoeuvre, l’industrie musicale, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, peut dormir tranquille sur ses lauriers fanés:

Qu’on se rassure: dans le rock du troisième millénaire, on ne verra plus trop de voyous comme ce monsieur Dee Dee Ramone.

Belle épitaphe No Future que je fais mienne pour conclure ce billet. Sur sa pierre tombale, Dee Dee a fait plus sobre: “OK…I got to go now” (merci à l’incollable Ulrich pour cette chute encore plus rock’n roll).

*Pour en savoir plus sur les Ramones et leur discographie voir cet article très complet de Wikipedia et le site officiel post-mortem du groupe : Ramones World.

Article initialement publié sur “Sur mon écran radar”

Illustrations CC FlickR Affendaddy, Michael Markos

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David Robert Jones, l’homme qui s’est dématérialisé http://owni.fr/2010/10/11/david-robert-jones-lhomme-qui-sest-dematerialise/ http://owni.fr/2010/10/11/david-robert-jones-lhomme-qui-sest-dematerialise/#comments Mon, 11 Oct 2010 07:17:10 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=26970 “Ground control to Major Tom, Ground control to Major Tom...”,chantait David Robert Jones en 1969, l’année où l’homme a marché sur la Lune…A première vue, “Space Oddity” évoquait dans ses enluminures psychédéliques un astronaute qui perdait peu à peu le contact avec sa mère Planète. En réalité, l’histoire d’un toxico s’éloignant de la vie à chaque injection – “Lift Off” – avouée dix ans plus tard dans les paroles de “Ashes to Ashes” (“You know Major Tom was a junkie”)… Un flash à demi-prémonitoire à la manière du “When I’m Sixty Four” du Beatle Mc Cartney. Car quatre décennies plus tard, l’homme que l’on appelait David Bowie ne répond plus. Rangé des substances – poudre au nez – qui ont bien failli le rendre fou paranoïaque pendant sa trilogie Berlinoise, il s’est comme dématérialisé.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il s’est comme effacé de nos écrans


Bientôt deux ans que la star aux multiples avatars a totalement disparu de la surface médiatique de la Terre. En 2004, juste après son dernier album en date (“Reality”), il y avait eu cette première alerte : une angioplastie pour déboucher ses artères bouchées d’éternel jeune homme rattrapé par le temps qui passe. Bowie avait alors calmé le jeu, ne se produisant plus sur scène qu’à de rarissimes occasions pour reprendre son fabuleux “Five Years” avec Arcade Fire ou encore “Heroes” avec TV on the Radio . The Thin White Duke s’était imperceptiblement effacé de nos écrans, des ondes radio, jusqu’à disparaître complètement: en 2008, la chaîne Sky News l’annonçait malade d’un cancer du foie, rumeur jamais démentie.
On l’a dit mort, transfusé en Suisse, avant de le voir déambuler dans les rues de Manhattan avec sa femme Iman et leur fille, shootés par un paparazzi. Mais Bowie n’est jamais vraiment revenu parmi nous, préférant logiquement se soigner, profiter les joies simples de la Vie en famille à celle de la Rock Star vieillissante jusqu’au “Rock’n Roll Suicide” pathétique: “Time to take a cigarette, put it in your mouth…”. Remember ?

A-t-il réellement existé ?

A-t-il d’ailleurs réellement existé en tant que Bowie sous ses identités multiples ? De Ziggy Poussière d’Etoile (1972) au clown blanc de “Scary Monster” (1980) en passant par “Alladin Sane” (A Lad Insane 1973), l’”Halloween Jack” de “Diamond Dogs” (1974) et le Mince Duc Blanc susnommé de “Station to Station” (1978) ? Telle est la question. L’homme qui venait d’ailleurs (“The Man who Fell to Earth”, film de Nicholas Roeg dans lequel il interprétait un extra-terrestre perdu sur notre planète) est peut-être redevenu un de nos frères, un humain comme les autres lassé d’haranguer les foules dans des shows toujours plus délirants (“Sur la tournée Ziggy Stardust j’étais vu comme le Messie. Je crois que j’aurais fais un parfait Hitler”, déclarait-il à “Rolling Stone” en 1975).

“The Rise and The Fall” of a Rock’n Roll Star, “Craked Actor” cela devait arriver…Surtout quand on a été un éternel Dorian Gray, Beau Oui comme Bowie, fascinant des générations d’adolescents. Pas question pour Bowie de jouer les momies âpres au gain, enchaînant à la matière des Stones et autres reformés réformés, les tournées lucratives dans une glauque parodie de gloire passée. Plutôt se suicider médiatiquement, disparaître sans crier gare.

Comme la musique elle-même

Alors David Bowie s’est tout simplement dématérialisé. Très étrangement au moment même où la musique elle-même se dématérialisait elle aussi. Celle qui l’avait fait Roi du Glam Rock, puis Soul Man blanc de “Young Americans”, prophète Növo et précurseur de la musique électronique -  comme Krafwerk- dans sa trilogie berlinoise (“Low”, Heroes”, “Station to Station”), puis Dieu des Stades eightie’s dans sa mauvaise période body buildée…puis plus grand chose artistiquement, errant du groupe “Tin Machine” à des albums en forme de tentatives de retour raté à de rares exceptions près (“Earthling” nourri de rythme jungles en 1997, le très beau “Heaven” narrant le chaos post-11 septembre en 2002).

Il est partout dans le réseau

Beats et bytes, mp3, Peer to Peer, iPod et iTunes Store…Ex-Fan des seventies où sont  passés la musique et les artistes de nos années folles ? Mais partout dans le réseau of course ! Sur tous les écrans de nos vies, fragmentés, digérés, remixés, évaporés dans le grand bouillon de la néo-culture populaire digitale. Tout simplement. Bowie n’a pas disparu. Il est partout. Et comme hier (Joy Division, Bahaus, les Smiths, Kurt Cobain…) son oeuvre influence tous les artistes importants du moment : Radiohead, LCD Soundsystem, Arcade Fire, TV on the Radio, Of Montreal…j’en passe et des meilleurs…Tous ces groupes confirmés et jeunes gens inspirés ont redécouvert l’apport immense du grand David en le googlisant, en puisant avidement dans sa discographie accessible en deux clics via la grande bibliothèque d’Alexandrie numérique.

Bowie est devenu l’un des Deus ex Machina de notre bande son planétaire, un DJ éthéré et divinisé. Il l’avait prévu. Chantant “I’m a DJ, I’m what I play” dans le méconnu “Lodger” (vidéo ci-dessous). David Bowie, “DJ” 1978:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et c’est donc ces jours-ci que ressort l’album “Station to Station”, augmenté d’un formidable live de l’époque mixé récemment sous le contrôle de Bowie, qu’il faut réécouter. Pour comprendre son avance sur notre époque, son influence omniprésente sur tous les courants musicaux qui comptent aujourd’hui : post-rock, électro,  new New Wave, néo-glam new-yorkais j’en passe là aussi des meilleurs

Je ne résiste pas au plaisir de cet extrait de la tournée du Mince Duc Blanc:

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Bowie a disparu mais il est partout. Et il annonce même de sa retraite immatérielle, sur son site BowieNet, la sortie d’une autobiographie luxueusement illustréequi, on l’espère, n’aura rien d’un memorial pre-mortem. Conçu par Barnbrook, ce livre intitulé Bowie: Object” est annoncé comme  une véritable immersion dans l’univers de l’artiste qui a mis à disposition une centaine de photos issues de ses archives personnelles et a également contribué au projet en écrivant un texte que l’on nous promet “perspicace, plein d’esprit et personnel” pour retracer ses 40 ans de carrière.

David Robert Jones Aka Bowie a aujourd’hui 63 ans et son ultime avatar est invisible…C’est un choix humain et artistique à l’exact opposé de ces “Transhumains”dont je parlais dans mon précédent billet.

P.S: vous n’y croyez pas ? Comparez en bonus ces vidéos :

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Article initialement publié sur le blog de JC Féraud: Sur Mon Ecran Radar

Illustration CC FlickR par Affendaddy

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Comment lisons-nous les photographies ? http://owni.fr/2010/02/26/comment-lisons-nous-les-photographies/ http://owni.fr/2010/02/26/comment-lisons-nous-les-photographies/#comments Fri, 26 Feb 2010 17:30:23 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=9103 IMG_8376

Le magazine Le Chasseur d’images propose une rubrique régulière de critique des photos envoyées par les lecteurs, intitulée “L’Album des lecteurs”. Le journal ajoute quelques indications techniques, notamment l’appareil utilisé. Entretenu sur la durée, un tel échantillon constitue un corpus précieux pour étudier l’évolution de la pratique des “amateurs experts”.

Mais les appréciations rédigées par la rédaction peuvent elles aussi apporter d’utiles enseignements. Composée d’une quinzaine de photographies qui sont autant de “cas”, la sélection publiée suscite logiquement un commentaire élogieux. Mais celui-ci est systématiquement balancé par une critique, dont l’expression est justifiée par le caractère pédagogique de la rubrique. Le rédacteur, photographe professionnel, gratifie l’amateur – et les lecteurs du journal – d’une leçon d’autant plus efficace qu’elle s’effectue par l’exemple.

Dans le numéro de mars 2010, nous pouvons ainsi découvrir le commentaire suivant d’une photographie envoyée par Patrick Barbazan: «Certes, ces trois dos tournés et leurs tresses blondes ne manquent pas d’intérêt. Mais comme votre courrier ne donne aucune explication sur la photo, on se demande ce que vous voulez montrer. Avec cette profondeur de champ, vous accréditez l’idée que les enfants sont en admiration devant le monument. Si vous vouliez donner l’impression d’une bouderie à l’égard du photographe, il fallait que seuls les enfants soient nets» (p. 163).

Patrick Barbazan n’a pas joué le jeu. Sa photographie, réalisée au Nikon Coolpix 4300, ne porte aucune précision de titre qui permettrait à l’observateur de situer une circonstance, et donc de préciser la signification de l’image. Réduit au jeu des devinettes, Guy-Michel Cogné suggère une interprétation de l’image comme mise en scène d’une “bouderie à l’égard du photographe”, qui le conduit à critiquer une profondeur de champ trop importante.

J’aime bien cette image, sa composition comme son caractère énigmatique. Face à cette photographie, je ne peux m’empêcher de me livrer à mon tour une tentative de décodage. L’absence de titre comme l’appareil utilisé m’aiguillent vers une prise de vue familiale qui a dévié, plutôt que vers une mise en scène soigneusement préparée. J’imagine l’occasion d’une photographie de groupe, modifiée de façon impromptue lorsque l’auteur remarque que les fillettes portent toutes trois une coiffure similaire. Il s’agirait alors d’un “portrait avec tresses”, dont la spontanéité relative est compatible avec la profondeur de champ ordinaire d’un compact à petit capteur.

Peu importe que cette interprétation soit ou non la bonne. Dans la plupart des cas de photographie familiale, il n’y a pas “une” signification définitivement stabilisée, mais plutôt une ouverture à des lectures diverses, construites a posteriori à partir des contextes d’usage des images. Ce qui est important, c’est que j’ai besoin d’une option de lecture: je ne peux pas apprécier cette photographie indépendamment de l’interprétation qui lui donne sens, et qui revient en dernière instance à identifier l’intention de l’auteur.

Se proposant d’établir la définition sociale de la photographie, Pierre Bourdieu avait lui aussi collecté une série de réactions interprétatives (malheureusement déconnectées des images sources) auprès de ses témoins: «Une mèche de cheveux, une chevelure, elle est jolie, celle-là aussi; elle est loupée, c’est fait exprès; il a joué sur les défauts pour ne laisser voir que les cheveux. Un tour de force, ça! C’est un artiste qui a fait ça?» «Une chose qui manque, c’est d’avoir fait de la photo. On ne peut pas savoir ce qui est loupé» (Un art moyen, Minuit, 1965, p. 131).

Selon Bourdieu, en cherchant ce que la photographie devait signifier, ces commentaires manifestent un «goût barbare». «La lisibilité de l’image elle-même, explique-t-il, est fonction de la lisibilité de son intention (ou de sa fonction).» En observant que «l’attente du titre ou de légende qui déclare l’intention signifiante» est le seul critère permettant «de juger si la réalisation est conforme à l’ambition explicite», le sociologue porte un regard sévère sur cette esthétique populaire, incapable de s’élever vers une perception non strictement fonctionnelle.

En réalité, notre appréciation d’une œuvre d’art n’est pas moins tributaire de la connaissance des intentions de l’auteur. La principale différence est que le contexte indiqué par les conditions d’exposition diminue largement l’incertitude sur ce caractère. Ce que trahit le retour insistant de la question de l’intention dans l’interprétation photographique n’est pas le caractère conventionnel de la prise de vue, mais au contraire une ouverture trop importante du spectre des possibles – non pas un signifié rabattu de force sur le signifiant, mais au contraire un caractère flottant de la signification.

Que nous montrent ces trois paires de tresses? Des enfants absorbées dans l’observation d’une vieille batisse – photo de reportage? La “bouderie à l’égard du photographe” – mise en scène volontaire? Un portrait à l’envers de trois coiffures semblables – impromptu formaliste? Ou encore aucune de ces trois lectures? En l’absence de légende, il est impossible de trancher, et il n’est même pas certain qu’une intention univoque ait préexisté à la lecture de l’image.

Contrairement au message linguistique, élaboré afin de réduire l’ambiguïté de la communication, l’image ne relève pas d’un système de codes normalisés qu’il suffirait d’appliquer pour en déduire le sens. Comme celle d’une situation naturelle, sa signification est toute entière construite par l’exercice de lecture, en fonction des informations de contexte disponibles et des relations entre eux des divers éléments interprétables.

Un aspect révélateur de la nature du signe linguistique est sa traductibilité. C’est parce qu’il repose sur un ensemble de codes externes – alphabet, vocabulaire, grammaire – qu’un message peut être traduit d’une langue à l’autre. La lisibilité d’une image s’appuie au contraire sur l’universalité de la perception visuelle – et simultanément sur le capital culturel individuel de l’observateur. Ce qui explique qu’il puisse y avoir plusieurs lectures d’une image, alors même que celle-ci ne peut faire l’objet d’une traduction au sens strict.

C’est parce l’image n’est pas un signe (au sens où celui-ci représente l’unité identifiable d’un système normalisé) qu’elle présente un degré élevé d’ambiguïté – ce que nous appelons souvent “polysémie” de l’image. Réduire cette ambiguïté est la condition de la reconnaissance d’une signification. En l’absence d’un titre ou d’une légende suffisamment explicite, l’identification de l’intention de l’auteur fournit apparemment la clé la plus efficace de ce processus.

» Article initialement publié sur Culture Visuelle

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