OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La chaîne alimentaire des médias http://owni.fr/2011/07/17/la-chaine-alimentaire-des-medias/ http://owni.fr/2011/07/17/la-chaine-alimentaire-des-medias/#comments Sun, 17 Jul 2011 15:53:40 +0000 Mary C Joyce http://owni.fr/?p=73884


Article initialement publié sur The Meta-Activism Project, repéré par OWNI.eu et traduit par Marie Telling. Sauf mention contraire, tous les liens de cet article sont en anglais.


Peu de dichotomies ont survécu au printemps arabe dans le monde des médias. Celle entre producteurs et consommateurs est déjà morte. Les blogs ont commencé la bataille il y a quelques années quand ceux qui étaient alors des lecteurs ont commencé à produire leur propre contenu. Aujourd’hui, ils créent du contenu partagé au sein de la communauté et relayé par les médias traditionnels. A quoi ressembleraient 24 heures d’infos sans des vidéos YouTube et des sources Twitter ?

La dichotomie entre anciens et nouveaux médias devient de plus en plus trouble. Oui, les médias sociaux sont nouveaux, fonctionnent en réseaux et en peer-to-peer, mais les médias traditionnels utilisent aussi ces protocoles et outils de partage. Des chaînes de télé internationales comme Al Jazeera fonctionnent en réseaux. Elles ne considèrent pas les médias sociaux comme des phénomènes marginaux mais comme des sources à part entière. Elles reconnaissent les citoyens comme des collaborateurs dans la fabrication de l’information, plus seulement comme des cameramen amateurs tributaires des professionnels pour valoriser leur travail.

Comment comprendre l’environnement médiatique du 21e siècle si celui-ci ne s’envisage pas en termes de dichotomie ? Une métaphore biologique est utile : celle du réseau trophique. « Trophique », vient du grec trophē – la nourriture – et fait référence aux mouvements et aux échanges de nutriments dans la nature. Une plante produit de l’énergie grâce à sa photosynthèse. Un rongeur mange la plante et absorbe son énergie. Le rongeur est ensuite mangé par un faucon ou un ours… ou meurt d’une attaque cardiaque.

Une dualité consommateur/producteur complémentaire et contemporaine

Pourquoi comparer l’environnement médiatique actuel à un réseau de chaînes alimentaires ? D’abord, l’information se comporte dans les médias comme la nourriture dans les chaînes : toutes deux sont des unités discrètes qui passent d’organismes en organismes, évoluant à chaque étape du processus, mais gardant des aspects essentiels de leur identité comme des images, des interprétations, des dates ou des histoires.

Ensuite, tout comme aucun organisme n’est uniquement un producteur ou un consommateur de nourriture, aucun média n’est uniquement un producteur ou un consommateur d’informations. L’herbe produit de l’énergie pour le lapin et consomme l’énergie du soleil. Un journaliste citoyen filme depuis son portable la vidéo d’une manifestation qui sera diffusée par une chaîne de télé quelques heures plus tard. Contrairement aux dichotomies mentionnées précédemment, qui sont mutuellement exclusives, la dualité entre consommateur et producteur est devenue complémentaire et contemporaine : chaque consommateur d’informations est potentiellement aussi un créateur d’informations, de celui assis sur son sofa au rédacteur en chef de journal.

Comme les chaînes alimentaires, les réseaux d’informations sont chaotiques et imprévisibles. Un cochon pourra être mangé par un ours (mais aussi par Mark Zuckerberg) ou bien mourir de vieillesse. De même, un tweet ou un post de blog pourra être repris par CNN, par quelques blogs locaux, ou ne jamais quitter son audience initiale. Les réseaux d’informations sont même plus chaotiques que les chaînes alimentaires. Une calorie ne peut être consommée que par un seul organisme au même moment, alors que chaque élément de contenu digital peut être copié infiniment et simultanément. Dans un environnement composé d’« organismes » médiatiques complexes et variés, le chemin qu’adoptera une information est difficile à prévoir… ou à contrôler.

Interconnexion et double nature de ses acteurs

Malgré le chaos, des catégorisations des chaînes alimentaires sont possibles et cela vaut aussi pour l’univers des médias. On retrouve deux types de consommation/production de l’information :

  • La nutrition autotrophique convertit la lumière du soleil en unités d’énergie utilisables par d’autres organismes. Dans la nature, les plantes sont autotrophes. Dans l’environnement médiatique, il s’agit de convertir des phénomènes physiques (événements, témoignages …) en informations utilisables. Il y a quelques années, seuls les journalistes professionnels pouvaient effectuer cette conversion. Il est maintenant de plus en plus simple d’enregistrer et de transmettre des informations. Tout le monde peut avoir un rôle d’autotrophe.
  • La nutrition hétérotrophique utilise l’énergie qui a déjà été transformée en forme utilisable par un autre organisme. Dans la nature, les animaux sont hétérotrophes. Dans l’univers médiatique l’hétérotrophie est la consommation d’informations créées par d’autres organismes. Comme quand vous lisez un post de blog ou écoutez une émission de radio. Ou comme lorsqu’un producteur de télé choisit une vidéo de citoyen pour son émission. La chaine hétérotrophique peut être très longue. Tout comme une calorie peut être transmise du soleil à une carotte à un lapin et vers un être humain, une information part d’un témoin, se transforme en post de blog, puis en tweet pour finir en article de presse. Chaque information peut prendre une multitude de chemins différents. On peut tracer ces unités sur des plateformes discrètes (voir les sets de données de tweets avec le hashtag #Jan25 sur Engine Room par exemple) mais nos méthodes d’analyses échouent dès lors qu’une information passe d’une plateforme à une autre ou d’un média à un autre.

Bien sûr, la symbiose n’est pas parfaite. Oui, les professionnels des médias auront tendance à agir en autotrophes et à convertir leurs propres informations. Oui, la plupart des citoyens seront plus enclins à consommer des informations existantes plutôt que d’en créer. Mais chacun peut choisir d’être autotrophe ou hétérotrophe à tout moment. C’est ce qui rend les choses intéressantes.

L’analogie entre chaînes alimentaires et médias résisterait-elle à une analyse plus détaillée des mécanismes spécifiques ? Bien sûr que non. Mais la métaphore est toujours intéressante pour décrire l’environnement médiatique de plus en plus inter-connecté et la double nature de ses acteurs.


Crédits Photo FlickR CC by-nc-sa NHBD

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L’information, la musique, ou l’industrie? http://owni.fr/2010/08/01/information-musique-industrie-pay-what-you-want/ http://owni.fr/2010/08/01/information-musique-industrie-pay-what-you-want/#comments Sun, 01 Aug 2010 10:35:04 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=23535

Image by Loguy /-)

L’information est elle en crise ?

La presse, oui – et son réseau de distribution en France, notamment – le marché de la publicité, oui, les lourdes charrues à dépêches, pour certaines, mais l’information ? Hyper-abondante jusqu’à l’infobésité, flux discontinu chaque jour plus étroitement lié à chaque carrefour de nos réseaux de proche(s), l’information vit l’instant qui suit celui de la destruction de valeur. N’appelez pas cela une révolution. Nul ne souhaite le retour des religions passées, revenir à un ayatollisme traditionaliste. Ni Google, ni Facebook, ni Twitter, ni l’iPad ou quelques data ouvertes de grès ou de force (ni OWNI :) ne “sauveront” non plus la presse. L’information s’y réinvente par contre tous les jours. Ici aussi.

La musique est elle en crise ?

Comprendre : l’économie de la musique est-elle en train de s’effondrer comme Rome naguère tomba ou la voiture tua les fabricants de calèches ? Nulle démonstration du contraire ne sera nécessaire. Chaque heure qui passe la créativité de l’homme chantant ou tapant sur des bambous expose davantage au monde son imagination sans borne (pour le meilleure et…). “On chantait en bas des maisons” rappelle Lessig. Nos maisons se nichent aujourd’hui en URL multiples où chacun remixe et partage notes et mélodies. Et l’industrie de s’y réinventer. Des médiations nouvelles s’imposent. Des compétences jadis éclatée se combinent. Au grès des usages. L’usage est roi. Ici c’est même un engagement.

Pay What You Want /-)

Depuis quinze mois que la soucoupe prend son envol, par touches impressionnistes et explorations successives, nous y expérimentons (face à un million d’autres “vous”) l’édition et le journalisme de dossier, en réseau, l’investigation derrière l’écran, la visualisation dynamique et si possible ludique de l’information, en faisant travailler “en mode agile” et de concert designers, développeurs, journalistes, blogueurs, et autres community editors.

De grandes rédactions nous font confiance (pour ne remercier ici que les premiers qui avaient franchi le pas, cassedédi à France24 & RFI /-) au point que notre économie, qui reposait sur du développement de sites web, glisse inexorablement vers la vente les contenus et applications web (c’est le SPEL qui va être content, lui qui n’admet pas que l’économie précède ou suive le média -quand la commission de la carte de presse n’en a pas moins attribué sa première carte de presse à une journaliste d’OWNI ce mois-ci :) . Nous concevons des approches de datajournalism et des réponses éditoriales explosives (en temps réel) à l’actualité, allant de l’idée à son livrable, en passant souvent… par quinze corps de métiers distincts !

Link To The Rest /-)

Le mois passé, je grognais face à un état de fait surprenant : OWNI, l’un des seuls médias en ligne rentable, ne parvenait pas à finaliser la levée de fonds que nous souhaitions réaliser afin de porter nos ambitions éditoriales dans le temps (et dans l’espace !). Comme chaque pas en avant que nous entreprenons, celui-ci se doit de vous être conté : nous sommes en train de boucler notre augmentation de capitale (600 000 euros pour 20% du capital de 22mars, l’éditeur d’OWNI). La suite sera à lire dans l’édito d’août.

Rendez-vous dans trente jours donc, avec du très beau monde au balcon et pas (que) du petit d’jeuns (on recrute !) pour un édito entièrement dédié à ceux qui composent au quotidien cette partition sur fond blanc.

Saviez-vous seulement que nous étions, au-delà des plus de 600 auteurs, une vingtaine à travailler à la destinée de cet Objet Web Non Identifié, à Paris, mais aussi à Berlin, Londres… ?

Revue des troupes et des moyens le 1er septembre !

Et d’ici-là, on ouvre les portes d’OWNImusic /-)

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Couve, Lapoix, Raphaël: le journalisme entrepreneurial en débat http://owni.fr/2010/03/12/couve-lapoix-raphael-journalisme-journaliste-entrepreneur-debat/ http://owni.fr/2010/03/12/couve-lapoix-raphael-journalisme-journaliste-entrepreneur-debat/#comments Fri, 12 Mar 2010 17:23:16 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=9934 Sylvain Lapoix, Philippe Couve et Benoît Raphaël : quelles voies pour le journalisme à l'heure du mediastorm ?

Sylvain Lapoix, Philippe Couve et Benoît Raphaël : quelles voies pour le journalisme à l'heure du mediastorm ?

Benoît Raphaël, Philippe Couve, Sylvain Lapoix : trois journalistes aux profils variés qui ont en commun d’avoir renoncé au statut de salarié d’un média national majeur pour se lancer en indépendant. On parle parfois d’eux comme de “journaliste-entrepreneur”, terme à la mode aux contours flous. Tenter de le définir , c’est nécessairement en venir à la douloureuse question du business model de l’information, secteur en pleine crise. Quitter la romantique image d’Épinal du métier pour mettre les mains dans le cambouis pragmatique de l’économie.
À l’occasion d’une interview croisée à la soucoupe, ils ont échangé leur point de vue sur cette notion.

Journaliste-entrepreneur, est-ce une bonne façon de vous définir ?

Benoît Raphaël : Tout dépend de ce que l’on entend par entrepreneur, si c’est un journaliste qui devient entrepreneur de son propre destin, oui pourquoi pas. J’ai toujours été entrepreneur dans les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé. Pour moi, un entrepreneur est une personne qui a une vision d’entreprise dans le média et qui essaye de mener des projets et évidemment de trouver le modèle qui va avec. C’est plutôt un état d’esprit qu’un statut, qui a toujours existé dans les entreprises.

benoit

D'abord cadre dans la PQR, Benoît Raphaël a co-fondé et dirigé la rédaction du Post.fr, site communautaire et participatif lancé en 2007 par Le Monde interactif. Il vient de démissioner de ce post pour explorer ailleurs le journalisme digital et ses modèles économiques. Photo Pierre Meunié.

Après, l’expression “journaliste-entrepreneur” vient de Jeff Jarvis, qui estime que le journaliste doit aussi devenir entrepreneur. Du fait de la fragmentation des contenus et des marques, le journaliste joue sur ce qu’on appelle le personal branding, sa propre marque, il se prend en charge lui-même. Mais il peut très bien le faire au sein d’un média.

Il doit aussi s’intéresser à la technologie, au marketing, à son propre marketing, quelque part se considérer comme un propre média dans le média ou comme un propre média dans le réseau. Comme il s’intéresse à son entreprise, il s’interroge sur son modèle économique. C’est plutôt une évolution par rapport à un environnement, qui fait qu’un journaliste naturellement entrepreneur va se sentir plus à l’aise dans cette démarche.
De ce point de vue, on peut parler de journaliste-entrepreneur. Mais ce n’est pas forcément quelqu’un qui crée une entreprise.

Je ne suis pas producteur d’information actuellement , à part mon blog, qui n’est pas vraiment un média très vaillant. Je ne me considère donc pas vraiment comme un journaliste maintenant.

Par contre, je travaille sur mon personal branding, mais c’est plus dans l’idée de monter des projets. Innover, tout le monde peut, le tout c’est de mettre en pratique. Jeff Jarvis a d’excellentes idées mais il faut passer à la réalisation ensuite.

Diplômé de l'IPJ en 2007, Sylvain Lapoix a travaillé à la rédaction du site de l'hebdomadaire Marianne de décembre 2006 à décembre 2009, où il couvrait la politique et les médias. Légalement, il est désormais chômeur, travailleur occasionnel. Il est à l'origine du Djin, un collectif informel "pour renouveler, développer et défendre le journalisme web". Photo Pierre Meunié

Diplômé de l'IPJ en 2007, Sylvain Lapoix a travaillé à la rédaction du site de l'hebdomadaire Marianne de décembre 2006 à décembre 2009, où il couvrait la politique et les médias. Légalement, il est désormais chômeur, travailleur occasionnel. Il est aussi à l'origine du Djin, un collectif "pour renouveler, développer et défendre le journalisme web". Photo Pierre Meunié.

Sylvain Lapoix : Dans le mot “journaliste-entrepreneur”, ce qui me gêne et me fait peur d’un point de vue social, c’est que cela me rappelle auto-entrepreneur. Faire porter la charge patronale au salarié, c’est dangereux. Si c’est temporaire et que cela donne lieu à une transformation, ça va, mais il ne faut pas que cela s’installe.

En revanche, l’idée que le journaliste soit sa propre entreprise dans le sens où le définissait Benoît Raphaël, avec une conscience de son modèle économique, une prise en main de ses outils de diffusion, le développement d’une marque, donc un marketing, au sens basique du terme, ça me parle déjà plus.
Moi, je suis producteur, et je veux absolument le rester. Cela m’intéresse de participer à des projets, je me définirais donc plus comme un journaliste de projet. Ma collaboration avec Marianne2.fr a été très fructueuse, mais on m’a proposé beaucoup de projets à côté.

Et le fait est qu’avec les technologies qui se développent, avec les demandes qui évoluent et aussi avec les opportunités qui se profilent, je me place plus dans cette posture, c’est-à-dire qu’on collabore ponctuellement sur une idée, pour développer un environnement d’information, un live-blogging, un live-twitting…

Philippe Couve vient de quitter RFI, à la faveur d'un plan social, radio où il a été successivement présentateur, grand reporter, co-chef du service Internet puis animateur de l’Atelier des médias, l’une des premières web-émissions participatives. Actuellement en préavis, il suit une formation qui l'aidera à choisir son statut. Photo Pierre Meunié.

Philippe Couve vient de quitter RFI, à la faveur d'un plan social, radio où il a été successivement présentateur, grand reporter, co-chef du service Internet puis animateur de l’Atelier des médias, l’une des premières web-émissions participatives. Actuellement en préavis, il suit une formation qui l'aidera à choisir son statut. Photo Pierre Meunié.

Philippe Couve :  Je n’ai pas le même positionnement. Aujourd’hui, le Washington Post gagne de l’argent parce qu’il fait de la formation. Avant, les journaux gagnaient de l’argent car ils faisaient des petites annonces. Aujourd’hui, il faut absolument élargir le bac à sable, car si on reste dans le bac à sable du contenu, ça ne marche pas. Vous-même (Owni.fr ndlr), vous développez un média dont l’économie est ailleurs.

Il ne faut plus réfléchir uniquement à “quels contenus je produis pour quel public ?”, mais “qu’est-ce que je sais faire, qu’est-ce que je peux valoriser là-dedans ?” Il faut exploiter nos compétences de journaliste dans d’autres secteurs. Il peut s’agir de la formation, par exemple ou de l’innovation. En tant que médias, nous savons répondre à de nombreuses questions : qu’est-ce que publier, qu’est-ce que c’est une stratégie éditoriale, comment la mettre en oeuvre, comment assumer ses responsabilités juridiques par rapport à ça, comment exister dans les réseaux sociaux, etc. Or beaucoup de personnes se retrouvent éditeur sur le web et n’ont absolument pas la compétence, c’est là que le journaliste intervient aussi. C’est là-dedans qu’il faut trouver un équilibre.

Benoît Raphaël : La diversification existe déjà ailleurs, comme dans la PQR, faire des événements, organiser des voyages, des petites annonces, etc.
Le but du jeu reste de trouver le modèle économique de l’information, on sait qu’elle coûte cher, c’est aussi le sel de la démocratie, même si ça parait démagogique de le dire. Le journalisme n’est pas là pour gagner de l’argent, sinon il faut travailler chez Meetic, des sites de jeu. Il faut élaborer des modèles qui permettent de supporter une activité d’information, qui fait à la fois ta marque et porte des valeurs. Et d’ailleurs cette marque de qualité va te permettre de vendre d’autres choses ailleurs.
Le but d’un média, sauf certains médias verticaux, a toujours été de faire circuler l’information et de nourrir ça. Il faut vraiment que l’activité participe d’un écosystème,
la formation, c’est intéressant mais cela prend du temps, il ne faut pas que ça mobilise les journalistes au détriment de l’information.

Sylvain Lapoix.:  Cela me pose un problème déontologique de gagner ma vie en formant des étudiants, en me disant que ce métier est mort. S’il faut travailler sur les marques, c’est aussi sur la marque des journalistes, je prêche pour ma paroisse bien sûr. Le premier boulot des journalistes, c’est de raconter des histoires. Je ne dis pas que c’est mal d’avoir des activités parallèles, la question que je me pose, c’est moins comment financer de l’info qui se produit à perte que pourquoi les gens à un moment ont cessé de la payer. Où est le dérèglement dans le coût de l’information ? Ce n’est pas si cher que ça.

Philippe Couve : Contrairement à toi, je pense que le vieux modèle est cassé.

Benoît Raphaël : Il n’est pas cassé, il est en mutation, il faut le faire évoluer, on est très romantique en France, on a toujours des visions. Il y a un modèle pour le reportage de fond, Florence Aubenas sort un livre qui est merveilleux, XXI est un modèle qui fonctionne bien aussi. Le problème n’est pas “comment fait le journaliste pour s’en sortir ?” mais “comment fait le journalisme dans son ensemble pour continuer à perdurer ?”. Je pense qu’il y a une information de flux, au quotidien, chaude, avec de la valeur ajoutée, qui est nécessaire, et une information de fond, plus froide. Pour la fabriquer, il faut un journalisme, et le journaliste est dedans, il peut s’agir de journalistes-entrepreneurs qui vont sortir des informations, ce peut être aussi des blogueurs.
Comment ce nouvel écosystème, en formation, se poursuit ? Cela passe par du journalisme entrepreunarial mais aussi par le financement des blogueurs, parce que certains font un vrai travail d’éclairage tous les jours, et parfois d’information.

En quoi le journaliste-entrepreneur se différencie du free-lance ?

Philippe Couve : À un moment, il faut assumer le risque économique de ce qu’on monte, ça change fondamentalement la perspective.

Benoît Raphaël : Le journaliste ne doit pas non plus être tout le temps devant le chiffre d’affaires qu’il ramène.

Philippe Couve : C’est ta contrainte, mais c’est aussi ta liberté. Quand on entend sans cesse “non, on n’a pas les moyens de faire ça ” et que tu te retrouves dans ton coin et qu’on te dit “débrouille toi avec rien”, tu réponds, “file moi les comptes, on va peut-être arbitrer”.

Benoît Raphaël : C’est comme une maison d’édition qui va financer des best-sellers pour financer d’autres choses qui correspondent aussi à ses valeurs, et ce n’est pas bête de procéder ainsi. Le problème, c’est que l’information s’est fragmentée, ce qui détruit ce modèle, et que du média compacté et du package, tu arrives sur un réseau, c’est au journaliste d’arriver à s’organiser ou d’organiser des réseaux qui permettent peut-être de trouver ces équilibres-là.

Comment portez-vous concrètement votre projet ?

Philippe Couve : Aujourd’hui, je suis en préavis après avoir quitter RFI et je suis une formation de créateur d’entreprise dont je rends compte sur www.journaliste-entrepreneur.com et qui va me conduire à créer ma société. Dans quels délais ? Je l’ignore encore.
Benoît Raphaël : C’est des rencontres et du travail.
Sylvain Lapoix : Pareil !

La crise des médias est-elle une opportunité ?

Philippe Couve : La crise des médias, comme toute crise, n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est mauvaise pour l’ordre ancien et bonne pour le nouvel équilibre qui sera trouvé. Du point de vue des individus, elle permet de rebattre les cartes. Il y aura ceux qui resteront prisonniers de l’ordre ancien, ceux qui parviendront à s’adapter et ceux qui participeront à l’établissement des règles du nouvel équilibre.
C’est comme avant. Il y a ceux qui ne s’en sortent pas, ceux qui surnagent et ceux qui prospèrent. La différence, c’est que la crise offre l’opportunité de changer de catégorie.

Quels conseils donneriez-vous à une journaliste qui souhaite être à son compte ?

Benoît Raphaël : Bosser dans une rédaction, c’est une aventure extraordinaire, tu apprends beaucoup, il faut passer par là. Ce n’est pas forcément une rédaction traditionnelle, on peut être journaliste-entrepreneur en réseau, dans une rédaction. Le média, même s’il est fragmenté aujourd’hui, même s’il est en réseau, c’est une aventure qui est humaine avant tout.

Maintenant, j’ai la chance de pouvoir choisir entre différentes voies. À ce stade de mon évolution, je n’ai pas spécialement envie d’être journaliste-entrepreneur au sens où nous l’avons évoqué car cela ne veut pas dire grand chose pour moi : je suis avant tout un homme de projets, ce qui me passionne, c’est de faire avancer les choses. Nous avons été iconoclastes et défricheur au Post, provoquant le débat , et cela me permet aujourd’hui de continuer à être légitime dans ce domaine. Maintenant j’ai envie de travailler sur des médias qui font avancer les idées. Je me vois plutôt comme un journaliste, en tout cas un professionnel de l’information aujourd’hui, qui dans le domaine de l’information digitale, va essayer de continuer de construire.
Je pense que les vieux médias n’ont pas la solution, c’est très difficile de faire bouger les choses dans un grand groupe, j’ai envie de le faire ailleurs, pour voir, pour avancer plus vite. J’ai essayé de le faire dans un grand média, c’est très compliqué, même si c’est passionnant. J’ai plutôt envie de partir sur une aventure humaine.

Sylvain Lapoix : Je suis d’accord avec Benoît et Philippe, il faut passer par une rédaction, pour voir ce qu’il y à faire et comment ça fonctionne, d’un point de vue humain, entrepreunarial. Avant de démonter une voiture pour la remonter, il faut savoir comment elle est faite avant.
Un conseil que je donnerais à tous mes étudiants en journalisme : écrivez, sur un blog, sur Twitter, n’importe où, mais écrivez, apprenez à communiquer avec les autres, ayez une culture de l’échange, discutez, pour apprendre à parler avec les autres et à leur faire comprendre des idées, et après intéressez-vous à la technique.

une-rencontre

Il est impossible (légalement) d’être journaliste et auto-entrepreneur. Dans un contexte de mutation, si l’on veut être un journaliste-entrepreneur, au sens “mettre en pratique ces idées innovantes”, et sauf à disposer d’un beau matelas d’économies, ce qui est rarement le cas d’un junior, c’est pourtant une solution qui semble logique. “Il y aura sans doutes moitié moins de cartes de presse d’ici cinq ans.” a prédit au cours de la discussion Philippe Couve. Tout à fait d’accord. Et qu’en parallèle une armée de journaliste auto-entrepreneur – d’autojournalistes entreprenants ? – se lève et construise l’écosystème de l’information de demain ne nous surprendrait guère ; nous n’aspirons d’ailleurs pas à moins /-)

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La technologie est un écosystème, respectons la. http://owni.fr/2009/05/06/la-technologie-est-un-ecosysteme-respectons-la/ http://owni.fr/2009/05/06/la-technologie-est-un-ecosysteme-respectons-la/#comments Wed, 06 May 2009 13:02:13 +0000 Epelboin http://owni.fr/?p=888 Voilà bientôt neuf mois que de nombreux media en ligne se battent contre Hadopi, et quelques semaines que les mass média – suite au “coup d’Etat” du PS à l’Assemblée – se sont emparés du sujet.

Il est probablement temps de faire un bilan d’étape.

Le message qui a été construit, argumenté, expliqué et disserté au sein de sites tels que Numérama, Ecrans, PCimpact ou ReadWriteWeb, les alertes et les actions de terrain menées par des organisations telles que la Quadrature du Net, le Pacte des Libertés Numérique ou l’UFC, ont été efficace : ce long travail se retrouve désormais dans la bouche et sous la plume de nombreux journalistes, assurant au débat une certaine rigueur. L’émission de Frédéric Taddéi mardi dernier sur le sujet était sur ce point remarquable, au point d’en faire oublier le lamentable n’importe quoi que Laurent Ruquier nous avait offert la semaine précédente.

Mais quelque chose a changé. Alors que les adversaires d’hier étaient des politiques et des lobbyistes, et que leurs arguments relevaient essentiellement du mensonge et de la manipulation, relativement facile à dénoncer et à mettre à plat, les ‘adversaires’ d’aujourd’hui posent leurs argumentations sur l’ignorance et la peur en se raccrochant à des modèles mentaux obsolètes, appelés à la rescousse pour comprendre, dans l’urgence, la situation. C’est un tout autre problème.

J’ai toujours admiré des créateurs comme Jean Claude Carrière ou Juliette Greco, et ce quarteron d’artistes inspirant le respect, dernier commando encore en vie d’opposants crédibles aux anti Hadopi, encore susceptibles de tenir le front de la bataille du débat public fraichement ouvert, pendant que les choses avancent à marche forcée à l’Assemblée Nationale et au Parlement Européen, ces derniers combattants ont la rage au ventre, ce qui rend la confrontation d’autant plus difficile.

Cette rage est liée à deux choses : la peur du changement et l’ignorance de ce à quoi ils font face. La peur du changement est assez naturelle pour ces générations qui savent que la page qui se tourne sous leurs yeux les verra relégués à des livres d’histoire, qu’ils n’ont pas les moyens d’y écrire un nouveau chapitre. Pour des créateurs qui ont, chacun à leur façon, inscrit des oeuvres fondamentales dans l’histoire de la culture, on peut comprendre l’angoisse que suscite ce changement. Que serait, après tout, le cinéma aujourd’hui sans Jean Claude Carrière ? La chanson popualire sans Juliette Greco ? Autre chose, à coup sûr.

L’ignorance est peut être plus facile à régler, mais là aussi, il est indispensable de faire un bilan d’étape, car force est de constater que les milliers de pages écrites sur des blogs pour expliquer la technologie l’ont été – vis à vis des derniers combattants de l’Hadopi – en pure perte.

L’élite ne comprend pas LA technologie

Moi le premier, ainsi que la quasi totalité des ‘blogs techno’ qui ont lutté contre Hadopi, je me suis efforcé de montrer comment les usages allaient rendre la loi caduque avant même son décret d’application signé, comment certaines technologies permettaient de contourner la surveillance mise en place par la loi, comment cette technologie ne pouvait pas réellement être filtrée car elle n’avait jamais été pensée pour celà, ou comment d’autres technologies garantissent un taux d’erreur dans les condamnations qui va bien au delà de ce qu’une démocratie se doit d’accepter (servant, ceci dit, à imposer la surveillance précitée, seule façon pour le citoyen lambda de prouver sa bonne foi face à l’erreur – pas vraiment judiciaire – dont il est la victime potentielle).

On a beaucoup parlé des technologies, on en a essentiellement parlé sous des angles assez techniques, pointus, au point qu’il a fallu faire preuve nous même d’une extrême pédagogie, inhabituelle dans les ‘blogs techno’, où l’on se retrouve habituellement entre gens qui se comprennent. Mais ces efforts ont payé. Il suffit de voir les arguments et les amendements déposés par les députés anti Hadopi pour s’en convaincre (et saluer au passage le rôle des assistants parlementaires, rouage sans qui rien n’aurait été possible).

Mais personne n’a jamais essayé d’expliquer à de parfaits néophytes LA technologie. Il faut dire que ceux qui lisent les ‘blogs techno’ ont plus ou moins une compréhension instinctive de ce que c’est. Aussi vague, ceci dit, que la compréhension qu’un poisson a de l’eau dans laquelle il nage. Pour ceux qui n’y vivent pas, LA technologie a, du coup, toutes les apparences d’un truc où l’on peut se noyer – tout en sachant qu’elle est indispensables à la vie (pour continuer sur la métaphore de l’eau).

La vision qu’ont ces artistes vieillissants (et néanmoins respectables) de la technologie est, avant tout, fausse, et ne permet en aucun cas d’appuyer un jugement ou une décision. Qui, connaissant les prises de positions politiques passées de Michel Piccoli, Jean Claude Carrière ou de Juliette Greco peut s’imaginer un instant que ces artistes préfèrent la mise en place d’une dictature numérique à la fin de leurs privilèges ? Un comportement digne d’un petit baron à la fin de l’ancien régime dans la bouche de ceux qui défendaient, il y a encore une génération, le progrès et l’avenir ? Personnellement, je n’y crois pas, je préfère de loin mettre cela sur le compte de l’ignorance (j’irai même jusqu’à inclure Jack Lang dans le camp des ignorants, je suis cependant plus réservé sur le cas de Dominique Farrugia).

Cette ignorance est avant tout construite sur le modèle mental que tous, ou presque, appliquent aux technologies. Pour beaucoup, et tout particulièrement pour les générations qui ne sont pas nées avec, la technologie est appréhendée avec le même modèle mental que celui de la précédente grande révolution technologique, celle de la révolution industrielle.

Souvenons-nous. En quelques générations à peine, et à partir d’une disruption massive apparue dans un territoire anglosaxon, l’Angleterre, maître du monde de l’époque, l’humanité a radicalement changé grâce à la machine industrielle.

Cette machine, synonyme de progrès ou d’avilissement (c’est selon), était au service de l’homme (ou du capital, là encore, c’est selon), mais toujours est-il qu’il y avait entre l’homme et la machine un clair rapport de servitude. La machine était au service de l’homme (en tout cas de quelques uns).

Une fois l’énergie et son transport domestiqués, son utilisation pour transformer et produire grâce aux machines a changé le monde que nos arrière, arrière grands parents connaissaient.

Avec la technologie, tout recommence ?

Non. Pas du tout. Cette vision de la machine et de l’homme, qui dans une perspective ‘de gauche’, est celle gravée dans la tête des artistes pro Hadopi aujourd’hui, ne s’applique pas du tout au digital.

Là où la machine a hier soumit l’homme à ses cadences et l’a quelque peu contraint à devenir lui même machine, le digital fait précisément l’inverse. Là où la machine était dans les mains d’un petit nombre qui en tiraient l’essentiel des profits, c’est là encore à l’inverse auquel on assiste. La où le capital se posait comme une barrière à l’entrée pour tirer profit de la machine, c’est l’opposé qui se produit sous nos yeux : les maitres des forges culturelles se voient détrôner par des étudiants qui bricolent dans leurs garage, construisant hier Apple et Google, et Dieu sait quoi demain.

Là où les tenants de la non prolifération (ou de l’abandon pur et simple) du concept de propriété se trouvaient du coté de ceux qui ne maîtrisaient pas la machine, les voilà qui sont regroupés aujourd’hui du coté de ceux qui la maîtrisent le mieux.

Ces différences, à elles seules, devraient, chez tous les intellectuels de gauche qui pensent qu’Hadopi n’est pas une si mauvaise chose, susciter, au minimum, le doute.

Pourquoi un tel changement ?

L’arrivée massive des technologies, et leur appropriation par toute une génération, qui désormais blogue, réseaute, remixe des clips et se les échangent sur YouTube, fait ses propres montages photos pour écrire sa propre culture, est à la fois une disruption profonde et un retour en arrière.

Cette extension du domaine d’application de la philosophie de l’Open Source, théorisée par Lawrence Lessig dans Culture Libre, remet profondément la Culture en cause, au même titre que la démocratie à remis la société en question.

Sans être encore un moteur essentiel de la culture du XXIe siècle, cette dynamique culturelle est en place, et ne peut s’arrêter d’une façon où d’une autre. Elle peut, au pire, devenir clandestine. Le temps pour elle de tout renverser par une rupture violente dont nos sociétés raffolent.

Ce ne sera pas la première fois qu’un couvercle mis sur les aspirations de la jeunesse fera monter la pression au point de faire éclater une révolution d’opérette, mais on peu, surtout pour ceux de ces artistes pro Hadopi qui ont participé à mai 68, se demander s’il est bien malin de réitérer les erreurs du passé.

La culture existait bien avant le XXe siècle, et continuera au XXIe sans soucis

Aldoux Huxley voyait, du point de vue de la culture, le XXe siècle comme un pivot. Le siècle dernier s’avère, avec la technologie, n’être en réalité qu’une parenthèse. Selon lui “avant la machine, les hommes et femmes qui voulaient se divertir étaient contraints, chacun selon ses moyens, à être des artistes. Désormais, ils sont immobiles et autorisent des professionnels à les divertir à l’aide de machines”.

Certaines formes de création, comme la photo, ont échappé à cette confiscation de la création par une classe créative professionnelle, mais pour l’essentiel, la culture est devenue une affaire de spécialistes, et rapidement une affaire d’argent. Les hommes et les femmes d’Aldous Huxley sont devenus des consommateurs, dont l’archétype du couch potatoe fut une icone du XXe siècle.

Ces temps ont changé, grâce à la technologie, tout le monde peut désormais participer à la création culturelle, et même si les professionnels sont là pour durer et continueront à dominer pour longtemps la création et le renouvellement de la Culture, il va leur falloir changer en profondeur leur rapport avec des consommateurs devenus participants actifs (je déteste le terme consomacteur, mais force est de reconnaître qu’il est ici approprié).

Il va falloir faire de la place à ces consomacteurs, établir des passerelles avec le monde des professionnels (déjà largement mises en place dans l’industrie du disque), créer une nouvelle relation. Les artistes anglais de la musique, massivement contre les loi telles qu’Hadopi, ne s’y sont pas trompés, mais là bas aussi, les anciens – comme Elton John – ont parfois du mal à suivre le temps qui passe.

En tout état de cause, ceux qui parmi les professionnels de la Culture militent pour une mise à l’écart de cette réalité, en verrouillant autant que possible le contrôle de la Culture par le copyright, auront demain à faire face à un public qui n’est plus affalé sur son canapé, passif devant sa télé, mais qui pianote désormais avec ses pairs, échange, partage, influence, critique et se révolte au besoin.

Certes, aujourd’hui, ils sont jeunes, insouciants, et pas si nombreux, mais demain ?

Une disruption profonde

Contrairement aux machines outils de la révolution industrielle, la technologie constitue un écosystème. Cette différence est essentielle. C’est sa nature même d’écosystème qui rend la loi Hadopi ridicule. Si une contrainte est posée dans un écosystème, celui-ci réagit et s’y adapte. Coupez l’alimentation en énergie d’une machine, et elle cessera de fonctionner. Coupez le lit d’une rivière, vous observerez quelque chose de radicalement différent.

Toute intervention dans l’écosystème des technologies donne lieu à une réaction de celui ci. Google, en inventant le moteur de recherche, à complètement façonné l’internet d’aujourd’hui. En inventant la publicité de liens, il l’a encore plus modelé. C’est un élément central du système, et tout mouvement de Google impacte l’ensemble des acteurs de l’écosystème, directement ou indirectement.

Régulièrement, cet écosystème grandit. L’apparition des blogs (qui est plus de l’ordre des usages que des technologies), a ouvert une nouvelle dimension qui s’est avérée gigantesque. L’arrivée – plus récente – de Twitter a toutes les chances de faire de même (là encore, rien de fantastique d’un point de vue technologique, on est encore sur un usage).

C’est une autre caractéristique de cet écosystème : usages et technologies sont intrinsèquement liées, l’un déterminant l’autre, et réciproquement. De la même façon qu’il existe dans la nature une interaction réciproque entre la vie et l’environnement qui, si on ne la perturbe pas excessivement, s’auto régule, et dont on peut tirer les plus grands profits (les abeilles, la polénisation, le miel…).

A l’instar d’un écosystème comme la nature, l’écosystème de la technologie fonctionne sur des règles. Là où la nature est basé sur des lois comme l’assimilation chlorophyllienne, l’internet l’est sur des normes et des standards, comme le TCP/IP. Avec ces règles de base, une multitude de formes de vie apparaissent, beaucoup meurent, certaines survivent, la plupart évoluent. Il en est des espèces comme des startups – c’est à dire des technologies et des usages qui surgissent dans cet écosystème.

L’homme contre la nature : la revanche dans le virtuel ?

Introduire des loi exogènes dans un tel écosystème est faisable (comment l’e-commerce aurait-il pu y prospérer si cela n’avait pas été le cas ?), mais il y a des limites au delà desquelles les conséquences sur l’écosystème, qu’elles soient culturelles, économiques ou sociales, seront dramatiques.

Dans le passé, beaucoup ont cru que la nature pouvait se plier à la volonté de l’homme. Staline à ainsi détourné le cours de rivières, l’écologie de l’Australie a été bricolée dans l’espoir – dans un premier temps – d’en tirer le plus de profits possible, puis par la suite, dans l’espoir de rattraper les erreurs du passé.

En un siècle, l’homme a compris que sa capacité d’intervention sur l’écosystème de la nature avait des limites, plus récemment, il a pris conscience que toute intervention non réfléchie se paierait tôt ou tard au prix fort. Aujourd’hui, l’essentiel des régulations promulguées par les hommes ont pour but de protéger l’écosystème, plus personne ne songe sérieusement à le contraindre, si ce n’est pour l’aider à revenir en arrière (je ne vais pas m’aventurer sur Montsanto, cela nuirait à ma démonstration, ne ferait que renforcer les soupsons sur les intentions réelles du pouvoir, et souligner la position d’équilibriste d’une Nathalie Kosciusko Moriset qui fait décidément de son mieux).

Machine et technologie, deux poids, deux mesures ?

Avec l’écosystème de la technologie, on est très loin de cette récente sagesse des hommes face à la nature. Nous en somme à la construction d’édifices légaux absurdes, destinés à contrer la gravité ou à empêcher le soleil de se coucher. Cela parait idiot si on aborde la technologie comme un écosystème, mais si on lui calque le modèle mental de la révolution industrielle, cela prend tout son sens.

Quand la machine a fait irruption dans le quotidien de l’homme, à la fin du XIXe siècle, la régulation de l’usage que l’on pouvait en faire, et la préservation de la place de l’homme, a donné lieu à de nombreuses luttes (sans même évoquer l’essort du Marxisme), et a instauré un rapport de force entre travailleurs (utilisés pour faire fonctionner la machine) et Capital (utilisé pour financer la machine et en tirer profit).

C’est ce rapport de force, encore aujourd’hui à l’origine du clivage politique gauche-droite,  que tentent de calquer les vieux artistes de gauche dans l’adoubement qu’ils font d’Hadopi. Avec une Culture qui doit désormais passer par la technologie pour trouver son public, le parallèle travailleur/artiste et capital/machine/technologie a pour lui le charme d’une apparente évidence, qui évite au passage toute remise en question. Mais cette simplification est trompeuse, si elle permet d’appréhender facilement le problème avec de vieux réflexes, elle n’en reste pas moins à coté de la plaque.

Au passage, l’unité dont ont fait preuve des politiques d’horizons aussi traditionnellement opposés dans la lutte contre Hadopi est assez révélatrice de l’obsolescence de ce modèle, quand il s’agit d’appréhender le problème de la culture face au digital, tout du moins.

e-dictature et démocratie : un grand écart impossible

Disons le clairement, il est impossible d’empêcher un milliard et demi d’internautes d’accéder à la culture. S’il existe bien des moyens pour rémunérer les créateurs (trop peu mis en avant lors de ce débat, d’ailleurs), il n’en existe aucun pour empêcher ou même réguler l’accès à la culture. On pourra au mieux rendre cet accès difficile et souterrain, impactant du coup l’écosystème dans un sens qui n’a aucune chance de profiter à la culture.

Prétendre faire cela à l’aide d’une loi, qui plus est dotée d’un budget inférieur à celui d’un commissariat de quartier, censée surveiller et punir 30 millions d’internautes Français, est risible. Seuls les débutants se feront prendre la main dans le sac, ceux qui sont déjà rompus à ce mode de consommation culturel, ceux qui maîtrisent les technologies, à commencer par les jeunes générations qui n’ont pas les moyens de consommer autrement, contourneront le problème sans la moindre difficulté.

Avec dix milliards de dotation, une telle loi pourrait permettre une surveillance plus efficace, mais là encore, le rythme de la législation et des contre mesures “pirates” qui surgissent de toutes parts en quelques mois à peine est inégal, et donnera toujours l’avantage aux technologies. Aucune chance de gagner : les plus grandes armées du monde ont toutes été défaites par des guérillas au commandement décentralisé et dont la motivation dépassait de loin celle d’une armée de métier. Ce fut le cas au Vietnam, puis en Irak, c’est le scénario qui aurait pu voir le jour sur le web si l’état avait des milliards à y investir. Dieu merci, la crise a rendu caduque cette hypothèse, seule la Chine en a aujourd’hui les moyens et l’impérieux besoin.

Ne confondons pas tout

Le problème que tente de résoudre maladroitement Hadopi ne peut se faire qu’en abordant la technologie comme un écosystème. On ne peut le contraindre, mais on peut impacter son fonctionnement pour peu qu’on le respecte.

Nous sommes face à une consommation de la culture qui évolue de façon phénoménale (explosion de la consommation, en grande partie gratuite ou piratée, mais de toutes façons non payée par le consommateur final), des difficultés extrême d’une industrie qui a misé sur les mauvaises cartes pour se reconvertir (duplication et distribution physique de CD, marketing aujourd’hui concurrencé par la recommandation de pairs), et d’artistes à qui l’on intime l’ordre de se ranger du coté du public ou du capital des anciens maîtres des forges, qui voient arriver la fin de la métallurgie avec angoisse.

Qui plus est, la solution de la licence globale, si elle règlerait le problème de la rémunération des créateurs, ne sauverait pas l’industrie du disque pour autant, et se heurte à un autre lobby, celui des télécom. Ceux-ci, qui n’avaient jusqu’ici aucun rapport avec la Culture, et qui ne s’en soucient guère – le dessin ci dessous illustrant cette attitude ridicule à merveille -, donnent au passage une bien mauvaise image de la technologie.

Comme souvent, le pouvoir est du coté du capital (vous en doutiez ?), rien de vraiment choquant finalement, non, la seule chose choquante, c’est de voir des personnalités comme Jean Claude Carrière ou Juliette Gréco prendre de tels partis pris. J’ai cru déceler l’expression d’un doute dans le discours de Jean Claude Carrière chez Frédéric Taddéi, c’est peut être qu’il est permis d’espérer un changement.

Il ne reste plus qu’à lui expliquer que contrairement à ce qu’il pense, cette loi qu’il qualifie d’imparfaite, n’est pas appelée à évoluer dans le sens qu’il espère mais dans celui d’une surveillance généralisée des populations internautes, et là, on quitte Hadopi pour rebondir sur Loppsi.

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