Nathalie Kosciusko-Morizet en 2010 à Vilnius pour l'Internet Governance Forum (cc) V.Markovski
La loi contre la consultation des sites terroristes revient par la petite porte. Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) l’avait annoncé dans une tribune parue la semaine dernière dans Le Monde : elle propose de réintroduire ce délit par amendement.
En reprenant les dispositions suggérées par le précédent gouvernement : 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas de consultation habituelle de sites terroristes, sans motif légitime (journalisme, recherche universitaire, travaux de police).
Petit retour en arrière. L’assaut contre Mohamed Merah à peine terminé, Nicolas Sarkozy annonce depuis l’Elysée sa volonté de lutter contre “les sites Internet qui font l’apologie du terrorisme”. A deux mois de l’élection présidentielle, un projet de loi [PDF] est déposé au Sénat par le Garde des Sceaux d’alors, Michel Mercier.
L’article 2 punit alors “de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle [un site internet] soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes”. La sanction ne s’applique pas “lorsque la consultation résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.”
Avec le changement de gouvernement et de majorité, le projet de loi prend la poussière au Sénat. Jusqu’en septembre, lorsque Manuel Valls, ministre de l’Intérieur frais émoulu, annonce une nouvelle batterie de mesures. Le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme est déposé au Sénat. Mais sans le délit de consultation.
Lors de son examen, le sénateur Hyest (UMP) propose de le réintroduire par amendement. Il reprend mot pour mot l’article rédigé quelques mois plus tôt par la majorité précédente. Contacté par Owni, il le justifie par l’existence de mesures équivalentes pour lutter contre les sites pédophiles.
L’amendement est rejeté, même si les sénateurs s’accordent sur l’importance de lutter contre le cyberterrorisme. Lors des débats, Michel Mercier le regrette, mais reconnait “que la réflexion n’était pas mûre.”
Nathalie Kosciusko-Morizet ne l’entend pas ainsi et le fait savoir : “le terrorisme doit être aussi pourchassé sur Internet” tonne-t-elle dans sa tribune. Dont acte. Deux amendements ont été déposés [PDF].
Outre les sanctions (deux ans de prison et 30 000 euros d’amendement), le texte proposé par l’ancienne secrétaire d’État à l’économie numérique “[permettra] la cyber-infiltration dans les enquêtes relatives à ce nouveau délit.” Depuis l’adoption de la loi dite LOPPSI en 2011, les autorités ont déjà la possibilité de participer “sous un pseudonyme” aux échanges sur des sites soupçonnés de provoquer des actes terrorisme ou d’en faire l’apologie.
Nathalie Kosciusko-Morizet semble donc décidée à entretenir sa flamme numérique. Chargée du dossier de 2009 à 2010, l’ancienne ministre entend réaffirmer et imposer son expertise sur le sujet. Dans la continuité des positions de Nicolas Sarkozy.
Interrogé par Owni, son entourage précise que l’amendement est de son fait, et non du groupe UMP. Elle fait d’ailleurs cavalier seul aux côtés d’autres députés de la même famille politique, dont Éric Ciotti, qui ont déposé un amendement similaire. Pas suffisamment encadré selon Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour éviter une “censure” du Conseil Constitutionnel, elle préconise le “principe de proportionnalité”. L’exclusion de certaines profession et des mesures les plus liberticides de l’antiterrorisme, comme elle l’a détaillé cet après-midi en ces termes devant la commission des lois de l’Assemblée nationale :
organiser des dérogations pour les professions qui ont besoin d’aller sur ces sites (journalistes, chercheurs, services de police) ; écarter de la consultation l’application de certaines mesures pour les faits relevant du terrorisme (garde à vue supérieure à 48h, prescription de 20 ans, perquisition de nuit).
Interrogé sur les motivations de Nathalie Kosciusko-Morizet, son entourage indique encore qu’elle détaillera “sa philosophie sur le sujet” après la présentation des amendements à Manuel Valls, toujours en cours à l’Assemblée Nationale.
L’entente cordiale des grands jours flottait hier au Sénat pour l’examen du projet de loi antiterroriste. Dans la nuit, les sénateurs ont voté pour ce texte, dont une première version avait été présentée par le précédent gouvernement, entre l’affaire Merah et l’élection présidentielle.
Manuel Valls, rejoint dans l’hémicycle par la garde des Sceaux Christiane Taubira, a insisté sur le consensus républicain nécessaire afin de lutter contre le terrorisme, “l’ennemi intérieur”. Différence majeure avec le texte présenté par le précédent ministre de la Justice, Michel Mercier : le délit de consultation habituelle des sites terroristes sans motif légitime a disparu. Du moins jusqu’à l’examen en commission des lois.
Le sénateur UMP Jean-Jacques Hyest a proposé des amendements qui réintroduisaient intégralement le délit de cyberterrorisme. Il expliquait jeudi à Owni que cette disposition existait déjà pour les pédophiles et pourrait donc être reprise pour les sites terroristes. En séance, Jean-Jacques Hyest a invoqué l’expertise de François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique interrogé par la commission des lois au printemps dernier.
Le son de cloche diffère légèrement chez Michel Mercier, l’ancien garde des Sceaux. En commission, il a émis des doutes quant à la pertinence de cette disposition :
Peut-être faudra-t-il revenir à la création d’un délit de consultation de certains sites sur internet ; je reconnais toutefois que la réflexion n’était pas mûre.
Ces amendements n’ont pas été retenus hier, mais le spectre du cyberterrorisme était bien présent. A la tribune, Manuel Valls a évoqué à plusieurs reprises la menace qu’Internet représente entre les mains des jihadistes. Le ministre de l’Intérieur a notamment cité l’exemple de Mohammed Merah dont “les méthodes d’action sont le résultat d’une préparation minutieuse, faite de contacts nombreux, de la fréquentation de sites internet djihadistes, d’un embrigadement et d’un passage, sans doute rapide, par les camps d’entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises et afghanes.”
Pour étayer ses propos, Manuel Valls s’est félicité d’une opération récente :
L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.
Une façon de justifier la pertinence de la législation actuelle et, en creux, l’abandon du délit de consultation des sites terroristes. Pour l’heure, l’utilisation d’Internet à des fins terroristes tombait sous le coup de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ou de l’apologie du terrorisme, un délit encadré par le droit de la presse.
Le projet loi tel qu’il a été voté par le Sénat et sera présenté à l’Assemblée, propose de faciliter les inculpations pour apologie du terrorisme. Le délai de prescription, de trois mois aujourd’hui, serait porté à un an. Une mesure directement destinée aux enquêteurs qui se confrontaient régulièrement à la courte durée.
Mais pour “lutter contre le cyberterrorisme”, il faut “identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser”, a expliqué le sénateur PS Alain Anziani :
Nous savons que le cyberterrorisme est la forme moderne du terrorisme.
Le projet de loi étend justement les dispositifs de 2006 sur la conservation des données de connexion.