OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Genres et politique numériques http://owni.fr/2011/07/23/genres-et-politiques-numeriques/ http://owni.fr/2011/07/23/genres-et-politiques-numeriques/#comments Sat, 23 Jul 2011 11:38:23 +0000 Cath Elliott http://owni.fr/?p=74333

Billet initialement publié sur OWNI.eu ; tous les liens sont en anglais.

La « Hansard Society » vient de sortir un nouveau rapport intitulé « Genres et politiques numériques » («Gender And Digital Politics ») dans lequel, selon le communiqué de presse, les trois auteurs (tous des hommes) s’interrogent :

Pourquoi les blogs politiques sont-ils dominés par les hommes ?

Ceux qui suivent ce blog depuis un certain temps n’auront aucune difficulté à deviner ma réponse à cette question…

« Hmm, vraiment je ne pense pas que ce soit le cas, à mon avis, le fondement de ce rapport est biaisé. »

En fait, j’irai même plus loin pour dire, une fois de plus, que je ne pense pas que le problème vienne d’un manque de participation des femmes dans la blogosphère politique. Le problème a plutôt à voir avec la façon dont les hommes qui composent la « bloquosphère » (jeu de mot de l’auteur sur blogosphère et bloquer, ndlr) définissent ce qu’est vraiment le blogging politique. Et avec la façon dont le blogging féministe est constamment ignoré ou marginalisé et intégré aux catégories « autres », « style de vie », ou « vie féminine ».

Comme pour illustrer mon propos, c’est un tweet de Jane Martinson, la rédactrice du Guardian, qui m’a annoncé la publication de ce rapport :

Cette même Jane Martinson dont l’excellent blog – The Women’s Blog – peut être trouvé sur le site du Guardian (comme tous les articles sur le féminisme publié par le journal) sous la catégorie « Style de vie », au côté des rubriques « mode », « cuisine » et « maison ».

Selon le rapport de l’Hansard :

Nous commençons à voir apparaître une légère différence dans l’utilisation des médias numériques pendant les dernières élections. Cette tendance commence à s’accélérer lorsqu’on s’avance dans l’univers de la politique en ligne. 85% des blogs individuels nominés aux Total Politics Blog Awards de 2010 (qui récompense les blogueurs politiques britanniques, ndlr) étaient tenus par des hommes, et seulement 15% par des femmes.

Et pourtant, comme je l’ai déjà noté sur ce blog, les « Trophées foutage de gueule total » (« Total Bollocks awards ») sont certainement pas représentatifs de l’investissement des femmes dans le blogging politique. Année après année, ils arrivent à ignorer la centaine de bloggeuses féministes britanniques qui contribuent aussi au web. Ces récompenses reposent aussi sur un système de nomination par les pairs, et comme nous le savons tous, lorsqu’il s’agit de blogging, et d’écriture en général, les hommes promeuvent des hommes qui promeuvent des hommes, ad infinitum.

Le rapport conclut :

L’équilibre entre hommes et femmes décroit lorsque le niveau de compétition ou la possibilité de voir apparaître un conflit augmentent ; les femmes sont légèrement plus susceptibles de signer une pétition (un procédé passif) mais considérablement moins susceptibles de se présenter aux élections législatives et sensiblement moins susceptibles de tenir des blogs politiques. Cette brève étude suggère que le déséquilibre hommes/femmes en ligne résulte d’une plus grande exclusion politique, et non numérique. Dans les domaines où les femmes sont actives en politique, elles sont autant susceptibles que les hommes d’être numériquement actives.

Comme on pouvait le prévoir, je ne suis pas d’accord avec cette conclusion. Je pense qu’il existe une exclusion numérique lorsqu’il s’agit des femmes. L’utilisation d’Internet n’est pas interdite aux femmes, mais souvent, les espaces où nous contribuons ne sont tout simplement pas considérés comme étant politique.

À moins que cela ne change et que le féminisme ne soit reconnu comme une question politique plutôt que comme un question de « mode de vie », on continuera de voir des questions comme « pourquoi les blogs politiques sont-ils dominés par les hommes ? » être posées, quand, en réalité, la question devrait être :

pourquoi est-ce toujours aux hommes de décider ce qui est ou n’est pas politique ?

Illustration CC FlickR PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales par greekadman

Traduction Marie Telling

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LGBT: la lutte de la rue aux ministères http://owni.fr/2011/06/29/lgbt-la-lutte-de-la-rue-aux-ministeres/ http://owni.fr/2011/06/29/lgbt-la-lutte-de-la-rue-aux-ministeres/#comments Wed, 29 Jun 2011 15:05:12 +0000 Thierry Schaffauser http://owni.fr/?p=72069 Je vis au Royaume-Uni depuis 2007. Ici, l’égalité des droits existe officiellement depuis que le Civil Partnership Act reconnait aux couples de même sexe les mêmes droits qu’aux couples hétérosexuels. Seul le mot mariage est différent, mais ça aussi on nous dit que ça va arriver. Alors oui, ça crée une différence énorme parce que symboliquement les hétéros britanniques doivent s’habituer depuis 2005 à ce qu’on soit réellement leurs égaux en droits. Il ne s’agit pas que du civil partnership ou de l’adoption. Il y a aussi, par exemple, des trucs qui ne risquent pas d’exister en France pour bientôt parce qu’en France, on est contre le communautarisme.

C’est ce qu’on appelle ici la diversity policy ou affirmative action traduit incorrectement en français par « discrimination positive ». Des entreprises s’engagent à embaucher des homosexuels, les chaînes de télévision à avoir des personnages ou animateurs homosexuels, la police recrute des gays et des lesbiennes au sein du LGBT police board qui se spécialise dans l’accueil des victimes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres) et l’investigation des crimes homophobes et transphobes. Les syndicats ont des conseils spécifiques pour les minorités, dont les LGBT, afin de traiter spécifiquement les discriminations homophobes dans le monde du travail, les agences d’adoption passent des pubs dans la presse gay pour nous inciter à adopter et nous convaincre que nous pouvons nous aussi être de bons parents.

Coming out, en anglais dans le texte

En plus de ces politiques communautaristes assumées, il y a une très forte visibilité presque partout. On n’attend plus que les footballers professionnels fassent leur coming out. Sinon, on a déjà des dizaines de députés et ministres ouvertement gays, des évêques de l’Eglise anglicane, des humoristes, des tonnes de célébrités qui se marient devant les cameras et les photographes des magazines, et quand on parle de stars, c’est du genre Elton John, Jimmy Somerville ou George Michael, des stars internationales donc. Faut dire que la pratique de l’outing n’a pas été qu’une menace ici, et on voit le résultat.

Enfin dernière différence, le mouvement gay ici est riche. En France, on a Pierre Bergé. Au Royaume-Uni, il y en a des dizaines qui financent toutes sortes de charités au profit de la communauté. En France, on milite sans argent ou on est dépendant de la subvention de la Mairie de Paris qu’il ne faut surtout pas critiquer. Au Royaume-Uni, ils font du fundraising et du networking afin d’avoir l’appui de gens puissants. Le Labour party a permis beaucoup de ces réalisations, mais le nouveau gouvernement de coalition entre les conservateurs et les libéraux ne revient pas sur les mesures d’égalité. C’est acquis pour tout le monde.

Alors vous me direz que ça a l’air bien. Ils ont presque tout. Oui, c’est vrai, on a presque tout si on est riche et puissant. Mais en réalité le mouvement gay n’existe plus depuis la campagne contre la section 28 qui interdisait de parler de façon positive ou neutre de l’homosexualité. Le mouvement gay au Royaume-Uni, c’est juste un business, tout comme la lutte contre le sida d’ailleurs. Pride London n’a aucun message politique et pense juste à devenir la plus grande Europride pour 2012. Il s’agit juste d’une fête commerciale et les associations qui veulent l’autorisation de défiler derrière les barrières de ‘sécurité’ de la parade doivent payer les organisateurs. Les autres ne peuvent que regarder passer les associations, compagnies et différents représentants d’industries défiler. On y va pour applaudir les militaires et les policiers gays dans leur uniforme et ils reçoivent en général un accueil chaleureux car ici ce sont leurs ‘boys’ et que le pays est en guerre.

Officiellement il n’y aurait pratiquement plus d’homophobie dans le pays. Donc plus besoin de militer. Il y a de toute façon des lobbyistes professionnels qui sont payés par les organisations pour faire ce travail-là. L’organisation Stonewall avait été fondée par des homosexuels riches dont des célébrités comme l’acteur Ian McKellan. Aujourd’hui, elle reçoit énormément d’argent de donateurs privés, mais aussi de fonds publics car elle sait se rapprocher de politiques influents. Des groupes de professionnels gays se mettent en réseau pour se promouvoir les uns et les autres dans les sphères économiques et politiques. La presse gay n’a donc pas grand-chose à dire à part vendre des produits pour les gays d’entreprises gay ou gay-friendly.

La seule homophobie qui resterait viendrait principalement des minorités religieuses, des communautés migrantes ou ethniques, des personnes des classes sociales inférieures. C’est ce qu’on peut lire en tout cas dans certains articles de la part de journalistes gays qui parlent à présent d’« homophobie musulmane » et croient savoir que dans certains quartiers de Londres comme Hackney et Tower Hamlets, l’homophobie serait plus forte qu’ailleurs. Un peu comme quand on parle des banlieues en France.

Pourtant, d’après moi, le mouvement gay est en train de perdre énormément en ce moment au Royaume Uni. Non pas à cause des musulmans, qui sont en fait de plus en plus nombreux eux aussi à soutenir l’égalité des droits, mais à cause des politiques de coupes budgétaires du gouvernement. Officiellement, le gouvernement soutient les droits LGBT et il est même prêt à les renforcer. En pratique, depuis qu’il est en place, il prétend que le pays est en situation de dette extrême à cause du gouvernement précédent qui, il est vrai, a donné beaucoup d’argent à ses amis des banques, et il faudrait à présent faire des économies. Bizarrement, l’idée d’augmenter les impôts, de stopper l’évasion fiscale des riches, ou d’arrêter des guerres coûteuses ne leur vient pas à l’esprit, mais réduire les services publics et les dépenses de l’Etat, ça ils kiffent. Il se trouve que parmi les coupes budgétaires, il y a en fait toutes ces subventions aux associations qui se sont spécialisées dans ce qu’on appelle ici le secteur volontaire. Au lieu d’embaucher des fonctionnaires, le gouvernement précédent a donné beaucoup d’argent à des organisations qui vont offrir des services spécifiques auprès de communautés particulièrement vulnérables.

Militants professionnels

Plein d’associations LGBT se sont créées dans les dernières années quand le Labour était au pouvoir pour faire ce travail communautaire. Broken Rainbow [en] aide les victimes de violences domestiques au sein des couples de même sexe, Galop [en] lutte spécifiquement pour aider les victimes d’homophobie, Stonewall Housing [en] tente d’aider les LGBT à se loger, Open Doors [en] s’occupe des LGBT âgés, etc. Tous ces groupes perdent leur financement public ainsi que les services VIH de prévention ou de dépistage. Il n’y a plus d’argent pour mener des enquêtes profondes contre les crimes de haine ou assurer la sensibilisation aux cultures LGBT dans les écoles à l’occasion du LGBT History month [en] chaque mois de février. Bref, tout ce que nous avons gagné en droits, ces organisations qui apportent une aide concrète au sein de la communauté auprès des personnes les plus vulnérables sont en train de le perdre en moyens et risquent parfois de disparaitre. Selon moi, c’est la pire menace depuis Section 28, sauf qu’officiellement les leaders des organisations LGBT mainstream qui ne sont plus vraiment militants, mais des professionnels, ne portent pas de discours sur ces coupes budgétaires. La plupart sont de toute façon des hommes conservateurs qui soutiennent la politique du gouvernement et ne considèrent en rien ces coupes comme une question gay.

Il est vrai que l’ensemble du pays est concerné par les coupes budgétaires et les gens se préoccupent plus de leur service public que du budget de ces associations. Mais la gestion d’un budget, c’est une question très politique, non ? Le fait que les gays, lesbiennes, bis et trans’ puissent être davantage concernés par l’accès aux services publics, l’accès aux soins par exemple, c’est bien une question politique qui devrait intéresser la communauté ? Pour l’instant, seuls quelques groupes queer radicaux comme Queer Resistance, ou des syndicalistes LGBT tentent de dénoncer cette situation. La question de ces coupes budgétaires ne sera pas une revendication de Pride London ni des journalistes gays qui sont plus préoccupés pour l’instant par les musulmans homophobes.

Récemment, l’association Stonewall a remis un prix à la ministre du Home office Teresa May, car ce ministère aurait une politique de non-discrimination et serait gay-friendly auprès de ses employés gays. Pourtant, Teresa May a voté à plusieurs reprises dans le passé contre les droits LGBT ou contre le droit à l’avortement. Elle a sans doute changé entre temps. C’est ce qu’elle dit. Mais les pratiques d’expulsion des demandeurs d’asile LGBT de la part de son ministère, elles, n’ont pas changé. Stonewall avait déjà été sous le feu des critiques l’année d’avant pour avoir nominé la journaliste lesbienne Julie Bindel pour un prix similaire. Or, Bindel, influencée par un féminisme radical séparatiste, est également fortement controversée pour ses prises de position sur les trans’ et les travailleurs du sexe. Manifestement Stonewall n’y avait pas pensé.

Aujourd’hui en France on nous dit de marcher en 2011 et de voter en 2012. On devine que ça veut dire voter pour les partis de gauche et le Parti socialiste de préférence. Mais une fois que certains dans notre mouvement obtiendront les postes qu’ils convoitent depuis longtemps, et que certains ont déjà d’ailleurs, que va-t-il se passer pour les autres ? On nous dit qu’on aura le mariage et l’adoption et je veux bien croire que le PS le fera. Mais que va-t-il arriver pour les autres qui ne sont pas dans une situation de vie de couple ou familiale, voire qui rejettent ce mode de vie ? Est-ce que le mouvement gay ne risque pas de s’arrêter tout simplement une fois que chacun pensera que nous avons acquis l’essentiel avec l’égalité des droits? N’est-ce pas ce qui est déjà en train d’arriver quand on nous appelle juste à voter comme s’il suffisait de faire confiance à nos élus ?

Récupération impérialiste

Surtout, il faudrait comprendre que ce mouvement n’est pas que gay, ou pas que LGBT, si on prétend sérieusement à l’inclusion. Les hommes gays ne peuvent pas parler au nom des LBT comme ils le font, et c’est pour ça que je parle surtout de mouvement gay dans ce texte au lieu de reprendre l’ensemble LGBT habituel qui finalement ne veut rien dire à part une forme de récupération impérialiste si je comprends bien la critique de Lalla Kowska-Régnier.

Ce mouvement est aujourd’hui représenté par des personnes qui font en partie carrière grâce à lui. Mais j’aimerais que nous n’oublions pas qu’il a été initié et vit encore à travers des personnes qui se battent parce qu’elles savent qu’elles n’ont plus rien à perdre. Je pense aux personnes qui n’ont ni carrière, ni réputation, ni famille à défendre ou à protéger. Je pense aux putes, folles, trans’, squatters, usagers de drogues, séropos, précaires, chômeurs, banlieusards, butches, immigrés, SDF, etc. Toutes ces personnes qui sont parfois stigmatisées comme trop radicales, donnant une trop mauvaise image, trop sexuelles, trop communautaristes, trop en colère, trop hystériques ; toutes ces personnes qui n’ont même pas la possibilité de cacher qui elles sont dans un placard doré, qui ne peuvent pas acheter l’acceptation des hétéros car elles n’ont pas d’argent, et qui n’ont pas de garde du corps pour les protéger quand elles se font agresser. Ces personnes, à y regarder de plus près, forment la majorité de notre communauté.

Notre avenir, ce n’est pas juste un bulletin de vote dans l’urne et une ou deux lois. Notre avenir doit rester politique et penser au delà des catégories LGBT. Notre avenir, c’est de continuer à lutter jusqu’à ce que tout le monde bénéficie de ce mouvement de libération. Notre libération sera commune et celle de toutes ou ne sera pas.


Article initialement publié sur Minorites.org sous le titre “LGBT du futur : clientélisme politique et coupes budgétaires”
Crédits Photo FlickR CC by-nc lewishamdreamer / by ceajae / by-nc KJGarbutt

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En défense du porno http://owni.fr/2011/06/19/en-defense-du-porno/ http://owni.fr/2011/06/19/en-defense-du-porno/#comments Sun, 19 Jun 2011 13:58:40 +0000 Didier Lestrade http://owni.fr/?p=70486

Note: certains liens de cet article sont NSFW

Le porno est partout. Ça effraye beaucoup de monde parce que les gens n‘ont toujours pas compris à quoi ça sert. Et cela fait des années que j’écris sur ça, que d’autres le font aussi, et les préjugés sont toujours les mêmes. Et même si certains de ces préjugés sont absolument recevables, il y a certaines choses qu’il faudrait mettre au clair, parce que l’époque a changé, parce que le porno a changé, et que tout ça va devenir de plus en plus important.

Pour commencer, quand j’écris sur le porno dans mon site perso, les pics de visites sont énormes. Ça monte tout de suite, dans l’heure. Cela finit même par m’amuser. Je passe quelque temps sans rien écrire sur ce site, ou alors je publie des textes qui ont un rapport avec des archives, la musique ou le sida, mais rien n’attire les internautes autant que le porno. Cela ne veut pas dire que ce que j’écris est intéressant en soi, cela veut dire que la curiosité est intense et que beaucoup de personnes ont envie de lire un point de vue différent sur le porno, parce que ça les excite, ou qu’ils veulent apprendre. Car malgré le nombre important de blogs qui traitent de ce sujet, il y a relativement peu d’analyse sur l’actualité, ou sur ce que ça veut dire.

Récemment, il y a eu un échange assez vif sur Facebook avec des amis que j’aime beaucoup qui me mettaient en face de mes contradictions. Comment moi, quelqu’un très engagé sur la prévention, le consumérisme gay, la compulsion, la morale, la vie intime, pouvait encourager et légitimer une telle industrie basée sur la prostitution, parfois la drogue et le sida ? Comment pouvais-je trouver ça excitant tout en connaissant le background et le symbole culturel que cela représente ? Et surtout, est-ce que ça n’allait pas me retourner dans la figure ?

Je suis absolument conscient de toutes ces questions. Elles sont dans tout ce que j’écris, depuis plus de 15 ans sur le porno car mes considérations positives sont toujours équilibrées avec la description du côté sombre de cette production. Alors je vais essayer d’être clair et même si je me doute que cela ne fera pas changer d’avis les copains qui sont contre le porno, au moins cela mettra les choses en perspective.

D’abord, j’ai absolument pas peur d’un quelconque backlash. Allez-y, je vous attends. Dès la création de Têtu, en 1995, nous avons parlé du porno parce que nous avions décrété que c’était un sujet important, non seulement au niveau de l’actualité de la production (chroniquer les films qui sortent), du fonctionnement des réalisateurs en les interviewant au même niveau que des stars de la chanson ou du cinéma normal, et en consacrant des dossiers à l’histoire de ce mouvement chez les gays. Il y avait une idée politique dans le fait d’analyser la sexualité dans les films en revendiquant que c’est un aspect fondamental de la culture gay, qui a eu l’impact que l’on sait sur tout le reste. La mode de Jean-Paul Gaultier, les shows de Madonna, les dessins de Tom of Finland, la littérature, la photographie de mode, l’art contemporain, le design, la drague sur Internet, tout est influencé par le porno. Il n’y aurait jamais des phénomènes culturels gays comme le cuir, les clones, les bears, les hipsters aujourd’hui sans le porno. Regardez la première vidéo de Frankie Goes To Hollywood, Relax, et dites-moi que le porno n’est pas la source principale d’influence. C’est quand même effarant d’avoir à rappeler ça dans une culture homosexuelle où le sexe est absolument central, et pas dans sa version douce de l’érotisme. Non, c’est de la pornographie.

Les secrets de l’homosexualité

Tout ce qui était underground chez les gays est devenu majeur culturellement grâce à l’influence du porno. Maintenant que Taschen a vulgarisé les plus grands secrets de l’homosexualité, et on ne cessera de les remercier pour ça, la sexualité gay est devenu un sujet d’art et de consommation quotidienne. Et pourquoi ? Parce que le porno est un des domaines où les gays ont été les plus innovants et, dans ce domaine, ils sont toujours à la pointe de la création. Cela ne se voit pas seulement à l’activité sexuelle qui est montrée dans les films, c’est tout ce qui l’entoure : les génériques, la musique (parfois), la qualité de l’image, le design, le contenu des bonus, le développement marketing des marques des studios, leurs logos, le look des acteurs, leurs personnalités, etc.

Bien sûr, pour un bon porno il y en a dix qui sont mauvais et parfois très mauvais, mais c’est pareil dans toute forme de création et surtout, surtout : c’est toujours intéressant de décrire un porno nul, car il y a aussi beaucoup de choses à exprimer et à décrire – et parfois très drôles.

Donc si le porno est capable de créer un fusion entre le sexe et l’art (ce qu’on voit très bien à travers l’essor de Tumblr, qui va prendre de plus en plus la place de Facebook pour certains d’entre nous, parce qu’on y découvre plus de choses), il faut se poser des questions sur cette capacité qu’a le porno gay de sortir de sa mauvaise réputation – et je trouve que sur ce point, le porno hétéro a encore beaucoup de travail à faire.

Car mon point de vue est très différent de ce qui se passe dans le porno hétéro. Je parle ici d’une sexualité entre hommes. Et nous sommes des hommes, bordel. On ne va pas commencer à avoir des jugements à chaque fois qu’on voit un mec en train de sucer une bite ou un anus avec une bite dedans. On n’en a rien à foutre des considérations féministes dans le porno gay, OK ? On ne va pas s’excuser pour quelque chose que des femmes pourraient nous reprocher dans la sexualité entre hommes, OK ? Si elles ne comprennent pas, on s’en branle. Et si certains gays pensent comme des féministes, très bien, mais à mon avis il y a d’autres domaines dans lesquels ils feraient mieux d’intervenir avant de cracher sur le porno. Commencez par DSK.

D’une manière générale, le porno est un moyen évident pour comprendre l’évolution des pratiques sexuelles. On peut être d’accord ou pas avec certaines attitudes et il y a beaucoup de choses qui me gênent énormément dans les pratiques, comme le fait de se cracher dessus et la prévention que j’aborderai plus loin dans ce texte, mais je pense sincèrement que c’est une chose de critiquer ces pratiques et de refuser de les regarder quand si peu d’études comportementales abordent le sexe gay tel qu’il se pratique.

Oui, le porno influence notre manière d’aborder le sexe, mais le porno est aussi influencé par ce que font déjà les gays. C’est un miroir déformant, mais cela reste un miroir pour beaucoup d’entre nous qui n’allons pas sur les sites de rencontre, qui n’ont pas une sexualité débordante et qui se contentent très bien de ce qu’on appelle le vanilla sex (le sexe basique). Il ne faudrait pas oublier que le porno est à la base du sexe par procuration. On regarde souvent ce que l’on ne fait pas soi-même, soit parce que la vie est comme ça, ou parce que d’autres (les acteurs porno en l’occurrence) sont meilleurs que nous et sont capables de performer d’une manière qui les met vraiment à part.  Et même si tout le monde, en particulier les jeunes, s’avère très technique aujourd’hui, c’est parce que la pratique de la sexualité s’est effectivement libérée, même si tout le monde est loin d’être aussi performant que dans le porno.

Donc on pourrait presque dire que les acteurs sont des virtuoses de la sexualité, ils sont des artistes de leur genre, ils ne deviennent pas célèbres uniquement parce qu’ils sont jolis ou parce qu’ils ont une grosse bite. Et je crois que c’est une des raisons principales de la gêne que procure le porno à certains, et même chez les fans, c’est que cela nous met dans une position d’infériorité, forcément, parce qu’on a beau être bon dans le sexe, le porno présente toujours une version améliorée, comme un Best Of, puisqu’on ne garde que le meilleur (enfin, pas toujours). C’est un peu comme quand vous allez voir un concert : vous êtes émerveillé par le talent de l’artiste, mais cette supériorité vous rappelle forcément que vous ne seriez pas capable d’atteindre un tel niveau d’excellence.

Le bus et le taxi

Il y a une chose qui m’a toujours fascinée. Il y a beaucoup de gays qui n’aiment pas le porno parce qu’ils n’en ont pas besoin. Ils peuvent se branler mentalement, sans avoir à recourir à des images ou à des films. Je trouve ça normal mais, d’un autre côté, j’ai toujours vu ça comme une limite. C’est comme ce que me dit toujours un de mes amis: « À quoi bon attendre le bus quand on peut appeler un taxi ? » Bien sûr, tout le monde n’a pas l’argent du taxi, et je prends toujours le bus et le métro, mais vous comprenez l’idée. Pourquoi refuser quelque chose qui est conçu pour apporter du plaisir ? Il y a assez de catégories différentes de porno pour trouver un réalisateur qui produit exactement le sexe que vous aimez.

Il y a aussi ceux qui disent qu’ils ne comprennent pas cette obligation gay à encourager une uniformité physique, un idéal de la beauté et de la musculature. Il y a 30 ans, quand j’ai commencé Magazine, j’étais tout le temps effaré quand quelqu’un me disait: « Mais quel est l’intérêt de montrer des hommes toujours musclés, avec la peau huilée pour mettre le corps en valeur ? »

Hello ? Oui, c’est un idéal, et alors, il faudrait s’empêcher de le voir ? On a beau être des crevettes, si on avait le choix, je suis persuadé que tout le monde serait content de vivre avec des abdos et des biceps qui ressemblent à quelque chose. Et le sport, on ne va pas commencer à dire que c’est mal de faire du sport, OK ? Et oui, il y en a pour qui ça devient une obsession, qui se rasent tous les poils et qui veulent se conformer à ce que les médias gays nous présentent, mais on est sorti de ça depuis pas mal de temps et aujourd’hui, les gays ne se sont jamais autant montrés tels qu’ils sont, pas rasés, pas musclés, et les bears, c’est surtout un phénomène culturel et esthétique qui valorise l’embonpoint, donc même la culture gay a évolué, et le porno a contribué à ce besoin de voir des hommes différents.

La photographie masculine a toujours été une recherche de l’extraordinaire. Que serait le travail de Bob Mizer, de Robert Mapplethorpe, de Pierre & Gilles et de Wolfgang Tillmans sans cette recherche de la beauté ? Tout ça est de l’Art avec un grand A désormais. Je refuse catégoriquement de m’excuser pour cette recherche de la beauté, elle est à la base de toute ma passion de vie, et je ne suis pas un pervers qui fait des choses condamnables dans ma vie privée. Le porno est une chance unique de voir ces hommes, célèbres ou pas, nous inviter dans l’intimité de ce qui est le plus profond chez eux, le sexe, le plaisir, l’orgasme.

Et ce n‘est même pas du voyeurisme, bien que je n’ai aucun problème avec ça non plus, c’est la modernité de notre époque qui fait que les hommes se livrent au regard extérieur et c’est aussi toute la base des sites de drague, de Tumblr, de Facebook et du porno. C’est la société qui nous empêchait, avant, de communiquer cette nudité et ce sont toujours les forces réactionnaires qui veulent nous empêcher de partager quelque chose que l’on n’avait pas le droit de montrer avant. C’est pourquoi Porno Is The New Black, c’est le phénomène culturel le plus important de notre époque car Internet est derrière. Et c’est juste le début.

Alors, bien sûr, quand on en arrive à ce niveau de pudeur perdue, on arrive évidemment à des excès et j’en ai assez parlé dans mon livre The End, sur l’influence que cette valeur marchande peut avoir sur la prévention du sida. Quand j’ai chroniqué les premiers films de Treasure Island Media sur mon site, même mes amis m’ont dit que c’était dangereux, que c’était contraire à mes convictions.

Il se trouve que TIM m’a envoyé depuis des années presque tous leurs DVDs donc je commence à avoir une idée complète de ce qu’ils font. C’est un studio leader qui montre des trucs qui me donnent la gerbe et vraiment, qui ne m’excitent pas. Pour rester pudique, je me contenterai de dire que j’y arrive pas. Et je suis totalement conscient de tout ce qu’écrit Madjd Ben Chickh dans cette Revue 86 de Minorités, je le sais, je le pense. Ce délire sur le fait de contaminer les autres, le sperme qu’on congèle pour l’inoculer avec des grosses éprouvettes, c’est un cauchemar. Mais TIM sait sortir aussi des films qui sont filmés différemment, avec des plans plus larges, et alors là, c’est objectivement la bombe.

Treasure Island et la vanille

Mais c’est ce que beaucoup de gays font aujourd’hui, même à moindre dose. Je ne sais pas si Paul Morris [en], le patron de TIM, a convaincu les gays de le faire ou si ce sont les gays qui ont demandé à Treasure Island de faire ça, la poule et l’œuf, le fait est, la fascination pour le sperme existe aujourd’hui comme elle n’a pas existé depuis les années 70.

Et si cela était réservé aux méchants barebackers lipodystrophiés de Treasure Island, ça serait facile à mettre de côté, dans une case. Mais les jeunes d’aujourd’hui sont les leaders de cette obsession du sperme. Elle est réelle. Elle ne va pas partir. Les traitements contre le sida ont à nouveau changé notre vision du sperme. Et même si moi je ne touche pas le sperme des autres à moins d’avoir une perche de 5 mètres (j’exagère), je sais que le sperme est redevenu central pour une majorité de gays, même ceux qui sont dans le sexe vanille.

Donc, encore une fois, il est intéressant de se demander quelle est la vocation du porno et dans quelle mesure ce qui est dangereux n’est pas fait par procuration, comme tout le reste du porno est fait par procuration. Sans mentionner que notre regard sur ces films bareback n’est même plus celui que l’on avait au début des années 2000, quand Dustan a défendu l’abandon de la capote pour admettre, avant de mourir, que « ça allait trop loin ». Dix ans ont passé et on ne s’est pas « habitué » au bareback, mais il est tout autour de nous, exactement comme le cinéma a poussé de plus en plus loin l’illustration de l’horreur avec des films vraiment effrayants comme  Saw et The Human Centipede. Car à côté de ça, TIM c’est presque de la rigolade.

Je voudrais vraiment insister sur un point. Depuis 1987, les films pornos américains, et les autres qui ont suivi, ont été safe. Cela fait donc 25 ans qu’une grande majorité du porno officiel, celui des grands et petits studios, est safe. Bien sûr, il y a toujours un ou deux films chez Raging Stallion ou ailleurs qui débordent, où les mecs sucent la bite après avoir joui, ou jouissent sur des muqueuses à éviter. Mais quand ça arrive, on le note toujours.

Il y a réellement un glissement qui s’opère, on ne sait pas si les grands studios vont persister à rester safe quand les grands profits se font avec les films non-safe des petits studios, mais pour l’instant, ça tient toujours. Et cela ne veut pas dire que les acteurs sont safe dans d’autres films ou qu’ils le sont dans la vraie vie. Moi je pars toujours du principe qu’ils ne le sont pas. Mais je reste fasciné, et émerveillé, et reconnaissant de voir qu’une partie énorme de la production porno, et la plus prestigieuse, parvient à produire encore et encore des films excitants qui sont safe.

Donc les gens qui disent le contraire ne connaissent pas le porno comme je le connais. Je reçois ces films depuis trop longtemps pour voir la constance du safe sex, malgré des pratiques qui évoluent, dans un marché énormément mouvant, avec des studios majeurs qui sont rachetés par d’autres et une influence du téléchargement toujours plus rapide, instoppable. Et ce n’est pas uniquement une vitrine. Ces grands studios, ces grands acteurs, performent toujours du safe sex. Une scène de pipe, maintenant, c’est 20 solides minutes. Une pénétration, ça dure des heures. Les occasions de ne pas être safe se présentent à chaque seconde. Et le minuteur s’allonge, et le film se termine, tout a été safe ET excitant, la preuve, vous avez joui, et avec le sourire s’il vous plait. Donc il faudrait quand même reconnaître cette constance d’esprit et quand on me reproche de « cautionner cette industrie », je la cautionne aussi pour ce maintien de l’effort de la prévention.

Sur FB, mes amis Anglais ont été les plus catastrophistes sur les liens entre le porno et la prostitution. Moi je trouve ça étrange car c’est à Londres qu’on a vu en premier, en Europe, des cabines de téléphone remplies d’annonces de nanas à poil, alors qu’on France, la prostitution chez les gays est un phénomène assez récent. D’ailleurs, il serait intéressant de voir s’il y a un lien de causalité entre cette émergence de la prostitution de masse à Londres à une époque où les vidéos et les revues pornos étaient toujours interdites mais bon. Dans tous les gratuits gays de New York ou de Londres, il y avait alors des pages et des pages et des pages d’escorts dès les années 90. En France, vous pouvez toujours chercher, mais il n’y en a toujours pas dans les canards gays. C’est passé directement sur Internet.

Et là aussi, je pense que la prostitution pour les hommes, c’est pas pareil que pour les femmes. Je me suis payé un mec que deux fois dans ma vie, une fois à New York et une fois à Marrakech, avec des hommes adultes à chaque fois. Et ça n’a pas été renversant, mais je n’ai pas de blocage là-dessus. J’ai même une idée sur ça : pour moi, le porno gay est beaucoup moins associé à la prostitution que le porno hétéro. On voit certains acteurs porno disparaître d’une manière violente, mais j’en vois aussi beaucoup qui sont capables de sortir de cette époque de leur vie sans qu’ils se fassent hara-kiri. C’est parce qu’ils ont intégré, eux aussi, la banalité de la pornographie et de la prostitution et qu’ils ont été capables de dépasser toutes les cochonneries éthiques que l’on ne voit pas dans le porno, qui sont off caméra, même si les bonus de making-of dans les DVDs nous ont montré aussi que vraiment, c’est pratiquement plus cool que beaucoup de choses qui se passent dans les backrooms. C’est plus propre d’abord, plus boring, et plus professionnel.

Le bio et McDo

Enfin, pour finir, parce que je pourrais parler de ça pendant des heures et ce texte est déjà trop long. Si vous voulez dire que lorsqu’on est un vrai écolo, on ne va pas chez McDo pour manger un burger, je suis d’accord. Mais je vais au McDo une ou deux fois par mois parce que j’aime vraiment trop ça et pourtant je recycle tout, j’ai mon compost, j’économise l’électricité, je débranche mes appareils domestiques, je ne chauffe pas ma maison comme un branque et je ne roule pas beaucoup, par choix.

Donc si on défend la prévention du sida, on n’encourage pas l’industrie porno, on retourne aux vieux Honcho des années 90 ou, mieux, on passe sa vie dans les bars et les lieux de drague  à attendre Mr Right. Bullshit to that. On verra comment vous serez à 53 ans avec 25 ans de vie séropositive derrière vous. Les filles, dans ce cas, je vous propose de faire un petit tour des autres industries et vous conviendrez, comme moi, qu’elles sont toutes aussi pourries que l’industrie porno.

La musique ? Pfff, regardez Universal et le mal que ça a fait à la musique. Le cinéma ? C’est aussi un outil de propagande. L’édition ? Je ne sais même pas comment j’arrive à publier des livres avec toutes les choses affreuses que j’ai pu écrire sur le monde de l’édition. Les médias ? C’est devenu une profession détestée, à juste titre. L’agriculture ? Ce sont les agriculteurs qui ont créé la malbouffe, pas les industriels. Le sport ? C’est la FIFA. L’art ? Give me a break, ce sont les pires. La politique ? Vous rigolez j’espère. Toutes ces industries, car ce sont des industries, ont perdu toute valeur morale en l’espace de 15 ans seulement.

Et franchement, je ne suis pas obsédé ou quoi, mais un DVD porno me donne plus de satisfaction qu’un CD, qu’un film, qu’un livre, qu’une revue, qu’un repas, parce que le caca qui est derrière est finalement tellement moindre que le caca énorme qui existe derrière toutes les autres industries. Au moins, c’est un caca toujours minoritaire, gay, et qui me ramène toujours, inconsciemment ou pas, à mes origines. Rick Wolfmier, Mike Betts. Maintenant, essayez de faire mieux que ces deux hommes.

Billet initialement publié sur Minorités

Images CC Flickr AttributionNoncommercialShare Alike Cyberslayer NoncommercialShare Alike chrisinplymouth, AttributionNoncommercialShare Alike bratmandeux, Attribution mikey baratta PHOTOGRAPHIC,

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http://owni.fr/2011/06/19/en-defense-du-porno/feed/ 12
Jeunes gays, demain ce sera bien http://owni.fr/2011/06/16/itgets-better-youtube-homosexualite-jeun/ http://owni.fr/2011/06/16/itgets-better-youtube-homosexualite-jeun/#comments Thu, 16 Jun 2011 13:39:44 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=67696 (tous les  liens de cet article redirigent vers des ressources en anglais)

Le 22 septembre 2010, vers 21 heures, la nuit s’installe entre les gratte-ciels. Sur le pont George Washington qui relie le nord de Manhattan au New Jersey, des passants trouvent un porte-feuille contenant un permis de conduire et une carte d’identité. Le jeune Tyler Clementi a sauté quelques minutes plus tôt.

Trois jours avant, le 19, Tyler prévoyait de passer une soirée en compagnie de son copain. Il avait avertit son colocataire qui racontait alors sur Twitter :

Mon colocataire a demandé la chambre jusqu’à minuit. Je suis allé dans une autre chambre et j’ai allumé ma webcam. Je l’ai vu embrasser un homme. Youpi !

Deux jours plus tard, le colocataire poste un nouveau tweet :

À tous ceux qui ont iChat, je vous défie de me rejoindre pour un chat vidéo entre 21 heures 30 et minuit. Oui, ça se reproduit à nouveau.

Sur le forum JustUsBoys.com, dans une conversation retrouvée par Gawker, le jeune Tyler s’inquiétait. Ayant aperçu le message sur Twitter, il demandait aux membres quelle solution trouver pour régler ce problème d’espionnage. Son dernier message sur le site raconte qu’il va remplir un formulaire pour changer de chambre. Le lendemain, il est mort.

“Ça va aller mieux”

Une demie-douzaine de suicides de jeunes homosexuels est très médiatisée en septembre 2010. Dan Savage, chroniqueur pour The Stranger, journal de Seattle, rappelle dans une de ses chroniques que 9 jeunes homosexuels sur 10 se font harceler pendant les années lycées. Jeunes auxquels on peut ajouter ceux dont on suppose l’homosexualité sans qu’elle ne soit avérée.

Il explique ensuite qu’il aimerait aller dans les écoles expliquer que ça peut s’arranger, faire de la pédagogie. Cependant, dans de nombreuses écoles, la porte est fermée aux personnes souhaitant évoquer l’homosexualité. Alors qu’ils viendrait pour raconter la difficulté de faire accepter son homosexualité, certains parents et professeurs considèrent ces interventions comme des convertissements.

J’aurais aimé lui parler ne serait-ce que cinq minutes pour lui expliquer que ça s’améliore ensuite,  mais c’est impossible. Il m’est alors apparu que je pouvais lui parler grâce aux réseaux sociaux.

Devant ce constat, il enregistre avec son mari une vidéo où il explique que, malgré le harcèlement dont ils furent tous les deux victimes à l’école, c’est allé mieux ensuite, ils se sont rencontrés et sont aujourd’hui heureux. Ils ajoutent que, globalement, ça va mieux après. Dan Savage héberge la vidéo sur une chaîne Youtube créée pour l’occasion et intitulée It Gets Better . Il invite ses lecteurs, dans sa chronique, témoigner à leur tour et à déposer leurs messages de soutiens et d’espérance sur la chaîne Youtube à destination des jeunes qui font face à ces problèmes à l’école.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les contributions arrivent alors nombreuses, poussées entre autres, par la médiatisation du suicide de Tyler Clementi qui a eu un écho important au même moment. L’initiative est rapidement relayée par les médias nationaux et  un site est alors construit avec Blue State Digital, cheville numérique de la campagne en ligne de Barack Obama, pour encourager la production et la dissémination des vidéos.

Les personnalités politiques, comme Barack Obama, et de nombreuses entreprises profitent pour témoigner à leur tour et se lancer dans l’aventure It Gets BetterApple, Pixar et Facebook ou Gap ont, par exemple, proposé leurs versions. Tombant parfois dans le gaywashing, telle cette publicité pour Google Chrome utilisant la campagne.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Donnez leur de l’espoir”

L’intérêt de cette campagne, selon Mary L. Gray, sociologue et anthropologue, est que Youtube offre un espace de dialogue important et que ces vidéos peuvent sauver quelques jeunes qui y trouvent une aide bienvenue et une occasion d’imaginer leur futur. Les réseaux sociaux permettent un dialogue quand il est parfois difficile de trouver un interlocuteur avec qui parler de sa sexualité près de chez soi.

Parmi les 20 000 vidéos créés depuis le 21 septembre 2010, certains témoignages sont très émouvants comme celui d’un élu de Fort Worth, au Texas qui raconte le suicide d’un jeune lycéen de son administration à l’âge de 13 ans. Il enchaîne ensuite sur une confession sur les difficultés qu’il a rencontré pendant ses jeunes années.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Souffre et attends

Cependant l’opération révèle plusieurs problèmes assez importants raconte Mary L. Gray. Le premier est l’attitude attentiste qu’il suppose : la seule chose qui règlerait les agressions homophobes serait le temps. La campagne, même si elle donne de l’espoir aux jeunes agressés, ne règle pas le problème du harcèlement à l’école et entérine l’idée que celui-ci est irrévocable et normal. Elle suppose également que tout harcèlement est homophobe et que si un jeune fait trop efféminé, et est agressé, c’est qu’il est homosexuel.

L’école est le moment où l’on apprend à devenir des adultes, des citoyens et des employés. Tout comportement ne correspondant pas à ce qui est considéré comme normal peut donc être cause d’intimidation par ses pairs. En France, en mai 2011, Luc Chatel était un des premiers ministres à évoquer publiquement le sujet, en ouvrant les Assises nationales sur le harcèlement à l’École.

Dans cette quête du camarade de classe normal, un des problèmes est celui du genre et de la sexualité. À ce niveau, le lycée, et particulièrement aux États-Unis confie Mary L. Gray, est le lieu où sont produits des rituels permettant de faire apparaître une masculinité et une féminité normée. Notamment en s’affichant avec une petite-amie ou un petit-ami et plus globalement en se comportant comme son genre le suppose.

Un des effets de cette normalisation affichée est que les personnes débordant un peu trop de leur genre sont qualifiées de pédales, de tapettes en France et de sissy ou de fag ou de queer aux États-Unis. Elles sont également brutalisées, poussées dans les couloirs, moquées, et donc exclues. Le suicide devenant quatre fois plus problable chez les jeunes homosexuels.

Témoins trop urbains

Tout au long des vidéos de la campagne It Gets Better, une autre impression assez étrange flotte, celle qui voudrait qu’il faut obligatoirement quitter sa province coincée pour échapper aux autres et rejoindre une ville plus ouverte où les homosexuels peuvent rencontrer des amis et des conjoints. Une vision légèrement bobo de la ville accueillante et de la campagne rustre. Dans les faits, et au moins aux États-Unis, de nombreux homosexuels vivent très bien sans quitter leur village natal.

Peu d’études se sont penchées sur ces homosexuels des champs. Dans son livre retraçant ses recherches, Out in the Country, Mary L. Gray explique que dans chaque comté aux États-Unis on peut trouver des couples homosexuels. Ils sont cependant beaucoup plus discrets que dans les villes. D’une part parce que les combats LGBT —lesbiens-gay-bi-trans—sont plutôt focalisés sur une vision urbaine de l’homosexualité. D’autre part parce qu’ils ne disposent pas des ressources et lieux de rencontres qui pourraient leur permettre d’échanger avec d’autres. Selon ses recherches, Mary L. Gray a découvert que plus tôt les jeunes faisaient leur coming out, plus ils restaient autour de leur lieu de naissance et qu’ils arrivaient à s’arranger avec leurs familles.

Dans un article sur son blog, elle explique qu’une solution, en plus des témoignages émouvants qui nous expliquent que ce sera mieux demain, serait d’essayer que ça soit mieux aujourd’hui. Ou comment It gets better pourrait devenir Make it better.


photo Flickr cc Alexandre Léchenet

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Piss Christ, les néo-réacs réécrivent le monde http://owni.fr/2011/06/14/piss-christ-les-neo-reacs-reecrivent-le-monde/ http://owni.fr/2011/06/14/piss-christ-les-neo-reacs-reecrivent-le-monde/#comments Tue, 14 Jun 2011 16:16:49 +0000 Denis Colombi (Une heure de peine) http://owni.fr/?p=67896 Il y a d’abord eu les attaques contre la théorie de l’évolution, à grand coup de constructions pseudo-scientifiques mais vraiment religieuses qui ne valent pas beaucoup mieux qu’un mauvais plat de spaghetti. Il y a, depuis peu, l’extension de ce « combat » contre l’astronomie, la condamnation renouvelée de Galilée et le retour tonitruant de la Terre au centre de l’Univers. Il y a eu, surtout, juste à côté de chez vous, la destruction d’une œuvre d’art dans une indifférence presque totale. Et, dernier épisode de cette triste série, ce sont les théories du genre, introduites dans les programmes d’éducation sexuelle du collège, qui font l’objet des assauts des néo-réactionnaires. A chaque fois, la même stratégie : occuper le terrain pour re-définir le monde à leur avantage. Et ce qui est inquiétant, c’est que ça marche.

« Naturaliser » la sexualité pour en nier la création sociale

C’est donc Christine Boutin, des « associations familiales chrétiennes », l’enseignement catholique et quelques autres qui ont décidé de s’en prendre aux théories du genre au moment où celles-ci apparaissent dans les cours d’éducation sexuelle du collège – bientôt, ils tomberont sur les manuels de sciences économiques et sociales et pousseront sans doute les mêmes cris d’orfraie.

L’objet de leur ire ? L’idée qu’il faut différencier le sexe du genre, en considérant le sexe comme une donnée biologique et le genre comme une construction sociale. Ce que l’on appelle également les gender studies, et autour desquelles se rassemblent des disciplines aussi variées que la philosophie, l’anthropologie ou la sociologie, s’attachent à montrer que ce que nous attribuons comme étant des caractéristiques « féminines » ou « masculines » – comme la douceur aux femmes et la force aux hommes, le romantisme fleur bleu aux premières et le sexe sans sentiment mais avec alcool aux seconds (voyez l’image suivante si vous ne me croyez pas…), etc. -, loin de reposer sur des différences de « nature » sont des constructions sociales. Et ces constructions sociales débouchent sur des traitements différenciés et des inégalités.

Un bel exemple de construction du genre : le « steak and blow job day », une soi-disante réponse masculine à la St-Valentin parce que, bien sûr, la fête des amoureux, c’est pour les gonzesses, les mecs, ça veut du sexe et de la bidoche…

J’ai déjà longuement documenté cette approche sur ce blog. Il s’agit aujourd’hui de quelque chose de tout à fait classique pour les sciences sociales, à tel point que Science-Po Paris les a rendu obligatoire pour tous ses étudiants. Et c’est pas du luxe. Ces travaux montrent par exemple que les stéréotypes de genre sont très prégnants à l’école : à niveau égal, les enseignants ont des attentes plus fortes pour les garçons – dont on pense toujours qu’ils en ont « sous le pied » – que pour les filles – toujours perçues comme de bonnes petites travailleuses scolaires qui tournent à pleine capacité ; les sanctions au collège viennent raffermir la construction de la masculinité des garçons.

Il en va de même dans le domaine de la sexualité : le genre des individus ne peut se réduire à leur sexe. Que l’on pense par exemple à la façon dont l’homosexualité féminine est érotisée pour le regard masculin, au point de constituer une catégorie pornographique à part entière : on voit bien que les pratiques sexuelles, loin d’être fixées par une donnée biologique, sont un produit social.

Si les femmes sont plus nombreuses à pouvoir se livrer occasionnellement à des pratiques lesbiennes – dans un récent numéro de Place de la Toile, Marie Bergstorm soulignait que sur les sites de rencontre libertins, les femmes se signalaient plus souvent que les hommes comme « bisexuelles » – c’est parce que la sexualité est une construction sociale. Le simple enfermement dans des catégories hermétiques, la bisexualité étant toujours perçue comme un mensonge à soi-même surtout si elle est masculine, témoigne déjà de ce que la société travaille nos comportements sexuels.

Evidemment, rien de tout cela ne trouve grâce aux yeux des intégristes chrétiens. L’objectif de ceux-là est de revenir coûte que coûte à une vision aussi naturalisante que possible de la sexualité. Notamment parce que celle-ci permet de dévaloriser et d’exclure l’homosexualité, bête noire ce christianisme politique qui se donne à voir de plus en plus dans les médias.

On peut avoir un sentiment de malaise face à ces gesticulations : est-il bien utile de prendre la peine de répondre à des gens qui sont non seulement totalement incompétents à comprendre ce dont ils prétendent parler – comme nous allons le voir dans un instant – mais qui en outre ne constituent qu’un groupe minoritaire au sein de la société et, du moins je fais l’effort de l’espérer, au sein de ce qu’il faut bien appeler la communauté chrétienne ? N’y a-t-il pas une formidable perte de temps à essayer de répondre à des excités qui sont simplement incapables de mettre le nez hors de ce qu’ils croient être la vérité révélée ?

Quand Christine Boutin se fait des films de « genres »

Ce que nous a enseigné l’affaire Piss Christ, ou, du moins, ce qu’elle aurait dû nous apprendre, c’est que ce qui n’est pas défendu finit par être détruit, y compris par des groupes minoritaires mais suffisamment excités pour occuper l’espace public. Personne n’a cherché à expliquer ce qu’était l’oeuvre « Piss Christ » d’Andres Serrano, ce qui a laissé toute la place à la bêtise des intégristes qui n’ont eu aucun mal à convaincre qu’il ne s’agissait que d’une provocation sans valeur dont la perte n’avait pas à être pleuré.

Même un défenseur patenté de la liberté d’expression comme Daniel Schneidermann s’est fait avoir : dans un post publié quelques jours après, il moquait la photo en question, oubliant l’offense faite à la plus élémentaire liberté d’expression. Puisque c’est de l’art contemporain et qu’il ne l’apprécie pas – surtout si c’est de l’art qui se vend… – Daniel Schneidermann pense que tout cela n’est pas très grave… On se demande ce qu’il aurait dit si les mêmes intégristes s’en étaient pris à une oeuvre un peu plus légitime, comme un Caravage, qui, il fut un temps, ne soulevait pas de moins grandes indignations…

Il en va de même pour les théories du genre. La stratégie des intégristes est d’ailleurs la même : pour « Piss Christ », il s’agissait d’imposer une lecture unique de l’œuvre comme un blasphème ou une provocation volontaire, évacuant le sens chrétien et modeste que peut avoir l’œuvre ; pour les théories du genre, il s’agit d’évacuer pas moins que la valeur scientifique des travaux attaqués pour les ramener à une simple question d’opinion ou d’option plus ou moins philosophique, en fait purement personnelle. La lettre de Christine Boutin est particulièrement explicite là-dessus :

Comment ce qui n’est qu’une théorie, qu’un courant de pensée, peut-il faire partie d’un programme de sciences ? Comment peut-on présenter dans un manuel, qui se veut scientifique, une idéologie qui consiste à nier la réalité : l’altérité sexuelle de l’homme et la femme ? Cela relève de toute évidence d’une volonté d’imposer aux consciences de jeunes adolescents une certaine vision de l’homme et de la société, et je ne peux accepter que nous les trompions en leur présentant comme une explication scientifique ce qui relève d’un parti-pris idéologique.

Ce qu’oublie la si fièrement « ancienne ministre », c’est que les travaux qu’elle stigmatise sont le produit d’enquêtes, qu’ils s’agit de résultats scientifiques, les exemples cités ci-dessus en témoignent. Ce qu’elle présente comme la « réalité » butte sur des faits étonnamment réels : il y a une variété de pratiques sexuelles chez les êtres humains qui dépassent très largement ce qu’un représentant de l’enseignement catholique appelle, dans le Figaro, « l’anthropologie chrétienne ». Car l’anthropologie est une science, et donc parler d’anthropologie chrétienne est aussi crétin que de parler de « physique chrétienne » ou de « biologie musulmane ».

Ce que cache donc cette attaque contre les théories du genre, c’est donc une attaque plus générale contre la science, la raison et, finalement, le plus bel héritage de la modernité. C’est une attaque réactionnaire. Elle se présente sous le masque du respect de la position de la chacun et de la « neutralité républicaine ». C’est une attaque néo-réactionnaire.

Frapper une oeuvre à terre ou la stratégie Piss Christ

« Définir la situation » est le mot clef : toutes ses attaques, même émanant de groupes minoritaires, ont pour objectif d’imposer une définition particulière des choses qui, une fois acceptées par des personnes moins convaincues par le cœur du discours intégriste, laisseront celui-ci donner libre cours à leur haine. « Piss Christ » a été redéfini comme simple provocation.

La « théorie de l’évolution » est redéfinie comme une simple hypothèse dont on est pas vraiment sûr, alors que l’évolution est un fait scientifique, confirmé par des milliers de fossiles, d’observations et d’indices, et que les théories de l’évolution, au pluriel, portent sur les explications à donner de ce fait (selon que l’on privilégie, par exemple, la sélection du plus adapté ou la sélection sexuelle) et sont, elles aussi, solidement argumentées. Une fois que l’on a accepté ce premier message, qui, en invoquant le respect de la liberté de pensée de chacun, se veut présentable, on est amené à reconnaître le bien-fondé du reste de la position intégriste.

La stratégie néo-réactionnaire est complétée par un choix assez subtil des cibles contre lesquelles lancer des offensives : attaquer là où il se trouve peu de personnes pour venir défendre les idées que l’on veut abattre. Il s’est trouvé peu de personnes pour défendre l’art contemporain attaqué au travers de « Piss Christ » parce que l’on n’a pas fait assez d’efforts pour diffuser et rendre accessible celui-ci. La théorie de l’évolution est certes bien diffusée, mais peu de gens ont une connaissance un peu fine de la différence entre un fait et une théorie, et les thèses darwiniennes sont généralement mal connues ou saisies avec des biens importants, souvenez-vous.

Avec des arguments un peu pédants, un créationniste peut semer le doute chez quelqu’un qui n’a qu’un très vague souvenir de ses cours de SVT de collège. Voilà pourquoi l’astronomie est, pour les plus motivés des intégristes, la nouvelle frontière : peu de gens connaissaient les démonstrations, parfois anciennes, du mouvement des astres et peuvent se laisser avoir par un discours un peu assuré et d’apparence cohérent même si le contenu est complètement délirant.

Et bien sûr, c’est exactement ce qui se passe avec les théories du genre. Celles-ci sont d’usage essentiellement universitaire, parfois militant du côté des féministes. Elles n’ont fait l’objet d’une vulgarisation au mieux limitée au pire franchement confidentielle. Il faut entretenir une certaine proximité avec les sciences sociales pour avoir été en contact avec elles.

Et leur caractère contre-intuitif, leur refus du naturalisme primaire et leur goût pour l’utilisation des situations marginales pour éclairer les problèmes dominants – comme l’étude de la transexualité pour comprendre la construction de toutes les sexualités, y compris « hétéro » – achève de les rendre fragiles à une entreprise de « définition de la situation » menée avec suffisamment de conviction. Et comme il n’y a pas de petits artifices rhétoriques, on va les renommer « théories du gender » parce qu’un terme anglais fait encore plus peur et souligne bien que c’est un truc américain pas bien de chez nous…

Une fois ceci posé, on comprend qu’il est essentiel de prendre la défense des théories du genre contre les attaques des néo-réactionnaires, aussi minoritaires et fermés à la discussion soient-ils. C’est qu’un groupe minoritaire peut avoir un grand pouvoir s’il parvient à imposer sa définition de la situation, encore plus s’il parvient à s’approprier une « neutralité républicaine » dont il ne connait que le nom.

Il arrivera toujours un moment où la science sera en désaccord avec les religions. Dans ce cas-là, le devoir d’un Etat qui se veut laïc au point de vouloir en faire le quatrième terme de sa devise nationale sera toujours de trancher du côté de la science. Car ce n’est qu’à cette condition qu’il peut réaliser la sacro-sainte laïcité, cette règle que l’Etat s’impose à lui-même de ne reconnaître aucune religion. On pourrait espérer que Luc Chatel adresse cette réponse à Christine Boutin. On pourrait même rêver que les nouveaux hérauts de la laïcité se manifestent plus ici que pour le moindre bout de tissu qui passe. Mais peut-être que l’on berce d’illusions…

Photos FlickR Paternité Matt From London ; Paternité alq666 ; Paternité Perry Piekarski ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales seven_resist .

Article publié initialement sur Une heure de peine

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Convertir les invertis http://owni.fr/2011/04/30/convertir-les-invertis/ http://owni.fr/2011/04/30/convertir-les-invertis/#comments Sat, 30 Apr 2011 11:00:30 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=59225 Il a fallu attendre 1993 pour que l’OMS retire officiellement l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Auparavant, en 1973, l’Association Américaine des Psychiatres aux États-Unis et le Ministère de la Santé en France en 1981 avaient fait cette modification.

À la recherche d’une origine, certains groupes religieux ancrent l’homosexualité dans la psychologie, allant chercher des explications dans le comportement ou l’histoire des personnes “touchées”. C’est ce que tente d’illustrer Alfie’s Home, un livre de Richard Cohen, “convertisseur” états-unien. Il raconte, sous la forme d’un album pour enfant, l’histoire d’un jeune garçon qui ressent une attirance pour les garçons. Un assistant social trouve avec lui les causes de ces sentiments : trop de temps passé avec sa mère, mésentente entre ses parents qui détruisent son image du couple hétérosexuel, manque d’affection de la part de son père et surtout attouchements de la part de son oncle. Le spécialiste lui explique ensuite qu’il ne fait que croire qu’il est gay alors qu’il n’en est rien. D’ailleurs, cette analyse “guérit” Alfie qui est “finalement heureux chez lui“.

Guérir l’homosexualité ?

Car si l’homosexualité s’explique par une modification psychologique de l’individu, il existe sûrement des moyens de la traiter et de permettre à ces gens de vivre en paix avec eux-mêmes et avec Dieu. Si, selon ces groupes, il faut se sortir de l’homosexualité c’est que ce comportement rend les gens tristes et surtout qu’il est interdit par la Bible.

Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. (Lévitique 18:22)

Ainsi, Hubert Lelièvre, aumônier auprès de malades du SIDA, rapporte dans son livre “Je veux mourir vivant” la réponse qu’il fait aux homosexuels :

Je ne peux pas te dire que vivre dans l’homosexualité soit bien, soit une route à prendre pour sa vie. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu l’un de vous me dire qu’il en avait été heureux.

Pour résumer, un homosexuel est triste et l’aider à oublier son homosexualité c’est avant tout l’aider à être heureux dans sa vie. Ironiquement, la solitude est également une des conséquences de leurs thérapies de conversion. La seule chose que promettent ces mouvements, c’est d’oublier ses tendances et de vivre à jamais célibataire ou abstinent. Le site Truth Wins Out qui a pour but de démystifier ces thérapies aux États-Unis relève d’ailleurs toutes leurs déclarations à ce sujet dans une rubriqueEx-gay ne veut pas forcément dire hétéro“. Un autre danger de ces mouvements, selon Mary L. Gray, chercheur en anthropologie à l’Université d’Indiana, est qu’ils prodiguent des thérapies sans aucune habilitation et sans suivi psychologique pour des personnes rendues fragiles par leurs traitements.

L’histoire de ces thérapies de conversion est assez vieille et les méthodes sont variées. Des violentes, comme la lobotomie ou les décharges électriques à chaque pensée érotique impliquant des personnes du même sexe au siècle précédent. D’autres comme la “thérapie de genre“, une rééducation permettant de vivre conformément à son genre. Les hommes aiment le sport et les voitures, les filles font le ménage et la couture. Dans un film de 1999, “But I’m a Cheerleader” ces différentes thérapies sont visibles. Notamment les cours de ménage pour les filles et les cours de virilité pour les hommes, voire les leçons de sexe.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce que montre cette bande-annonce est également ce qu’a dit Mary L. Gray : l’inscription à ces thérapies vient souvent des parents. Ils trouvent leur fils trop efféminé ou que leur fille n’a pas assez de petits copains, ils le font aller à ces camps. En France, Christian Vanneste, député de l’UMP, avait espéré qu’il soit possible également pour ses administrés de faire de même. Il déclarait dans le documentaire, diffusé sur Arte, “Je suis homo, et alors ?” de Ted Anspach :

[Il devrait être possible], lorsque l’on perçoit ce genre d’évolution [vers l'homosexualité] de proposer aux parents une “thérapeutique”, tout au moins un traitement, un accompagnement pour faire en sorte que la personne évolue. À mon sens ce serait une bonne solution.

Le principal argument selon lui pour soigner les homosexuels est qu’une société composée à “parité d’hétérosexuels et d’homosexuels” serait une “menace pour notre avenir et on ne semble ne pas le comprendre“. Pour l’aider à contrer cette menace, il peut compter sur les mouvements “réparateurs” présents en France et notamment sur Internet. Le site OserEnParler, sous une apparence pédagogique et compréhensive de l’homosexualité propose une suite de rubriques sur l’homosexualité irréversible. De la même manière, le mouvement Exodus International propose sur son site des témoignages et un soutien, mais également une application pour iPhone.

Exodus International est une association dont un des fondateurs avait fait la une de Newsweek en 1998 avec pour gros titre “Gay for Life ?”. Sur son site et dans son application iPhone, on peut lire des conseils quotidiens pour vivre au mieux dans l’abstinence laissant transparaître une stigmatisation de l’homosexualité. Ce qui fait dire à John Avarosis, blogueur pour AMERICAblog, qu’en s’adressant aux enfants et en les stigmatisant ainsi, Exodus représente un danger mortel. D’ailleurs, une pétition lancée par Truth Wins Out largement partagée a permis le retrait cette application de l’App Store, arguant que celle-ci diffusait un discours de haine envers un groupe de personnes en particulier, une des conditions de retrait selon les conditions générales de vente d’Apple.

Du côté de la médecine

Les partisans de ces traitements ne sont pas seulement des associations religieuses. En Espagne par exemple existe une clinique proposant de convertir les gays. Un des spécialistes de cet établissement déclare :

Personne ne veut être homosexuel, cela vous tombe dessus. S’ils pouvaient changer leur orientation sexuelle grâce à une pilule, 99% d’entre eux le feraient.

De la même manière, en Grande-Bretagne, de nombreux psychiatres prétendent pouvoir effectuer de tels traitements. 1 sur 5 selon une étude en 2009. C’est notamment le cas de Lesley Pickington. Piégée par le journaliste Patrick Strudwick, elle déclarait que l’homosexualité était “une maladie mentale, une addiction et un phénomène anti-religieux“. Suite à ces déclarations, la psychiatre risque de perdre son habilitation. Un jugement un peu fort selon certains élus conservateurs, puisque l’un deux, Roger Helmer, député européen, s’est énervé sur Twitter.

Pourquoi est-il normal pour un chirurgien de pratiquer une opération de changement de sexe, mais qu’il n’est pas normal pour un psychiatre de tenter de convertir un homosexuel consentant ?

Il fut aussitôt corrigé par le porte-parole du Parti Conservateur.

Ce dont ont besoin les lesbiennes et les gays est d’un traitement équitable par la société et non pas d’un traitement mal intentionné par une minorité de professionnels de la santé.

Surtout que le parallèle entre la chirurgie de changement de sexe et les conversions d’homosexuels n’ont rien à voir souligne Mary L. Gray. Alors que l’un tente de raccorder le corps avec le genre d’une personne, l’autre est un déni d’une partie importante de l’identité par des voies non médicales.

En finir avec ces croyances

Mary L. Gray pense que ce qui est grave avec tous ces traitements , c’est qu’ils charrient avec eux toutes les croyances autour de l’homosexualité. Notamment l’obsession selon laquelle, en parlant trop d’homosexualité aux jeunes et en leur expliquant que ça n’est rien de grave, on risquerait de les convertir. Peur de la conversion qui s’associe régulièrement d’un amalgame entre homosexualité et pédophilie.

Un des moyens d’en finir avec ces idées serait de parler un peu plus ouvertement d’homosexualité, notamment à l’école. Ce qui ne risque pas d’arriver en France, après l’interdiction de diffusion du film “Le Baiser de la Lune“, qui racontait l’histoire d’amour de Félix et Léon, deux poissons. En Californie, en revanche, on parle d’inscrire dans le cursus un cours sur les combats LGBT. Peut-être un début de solution.


Illustrations CC Flickr My Little Pony Pride by Austin & Zack

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[MAJ]Les bikinis rembourrés pour fillettes font scandale aux USA http://owni.fr/2011/03/28/les-bikinis-rembourres-pour-fillettes-font-scandale-aux-usa/ http://owni.fr/2011/03/28/les-bikinis-rembourres-pour-fillettes-font-scandale-aux-usa/#comments Mon, 28 Mar 2011 06:30:18 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=53757

Notre article sur les soutiens-gorge rembourrés que l’on trouve dans les supermarchés, à l’intention des petites filles de 8 à 10 ans, a suscité de très nombreuses réactions, notamment sur les blogs et Facebook, où l’article a été partagé par plus de 2500 personnes.

MaJ du 29 mars : les bikinis rembourrés ont été retirés de la vente… mais un fabricant de jouet chrétien vient de sortir une poupée que les petites filles sont invitées à allaiter au sein, et une esthéticienne britannique a décidé d’injecter du Botox à sa fille… de 8 ans (voir plus bas).

La presse, notamment féminine, que nous avions contactée à la publication de notre article, reste par contre étrangement silencieuse sur cette incongruité, qui fait que la majeure partie des soutiens-gorge vendus en grande surface et destinés aux petites filles de 8 à 10 ans sont rembourrés de mousse, ou dotés de coque, afin de donner du volume aux petites poitrines…

De l’autre côté de l’Atlantique, il a suffit qu’un blog remarque la mise en vente sur un site internet de trois soutiens-gorges rembourrés pour déclencher une petite tempête médiatique…

“Un nouvel exemple de la sexualisation des petites filles”

Le 19 mars dernier, Lisa Wade, professeur de sociologie et spécialiste des questions de genre et de sexualité, s’étonnait sur son blog de découvrir “un nouvel exemple de la sexualisation des petites filles, sous la forme de bikinis “push up, et donc rembourrés, dans la nouvelle collection de la marque Abercrombie Kids, à destination de filles de 8 à 14 ans, dont le modèle S a été conçu pour les tours de poitrine de 70-72 cm, ce qui correspond généralement à des filles de 10 ans.

Lisa Wade avait déjà, à de nombreuses reprises, critiqué ce genre d’érotisation des petits filles, à l’occasion du n° de décembre du magazine Vogue, et plus particulièrement de son supplément cadeau, qui mettait en scène des petites filles de 6 ans habillées et maquillées comme des “dames” de luxe :

Dernièrement, elle avait également relayé la vidéo d’une petite fille de 2 ans qui, à l’initiative de sa maman, avait présenté à un concours de beauté pour enfants une chorégraphie inspirée de la tournée de Madonna où, retirant son costume d’ange, on la découvrait habillée avec le fameux bustier pointu :

Une semaine et plus d’une centaine de billets de blog plus tard, émanant notamment de parents indignés, la presse commence elle aussi à s’en faire l’écho, aux États-Unis. Good Morning America, le célèbre programme matinal d’ABC News, rappelle que les “tweens” [de "between" et "teen", signifiant préadolescent, NDLR] dépensent près de 24 millions de dollars, chaque année, en produits de beauté de type gloss, mascara, fards à paupière, et que des chaînes comme Wal Mart avaient même lancé des lignes de maquillage spécial petites filles.

ABC évoque également la reprise, par des petites filles de 7 ans, de la chorégraphie très sexy de Single ladies, le tube de Beyoncé, en 2010 au festival World of Dance :

Interrogé par ABC, Michael Bradley, auteur d’un livre sur les difficultés que rencontrent les parents avec leurs adolescents, raconte avoir d’abord pensé à une blague quand il a entendu parler de ces bikinis rembourrés, tout en reconnaissant que certaines marques n’hésitent pas à sexualiser les enfants dès l’âge de 4 ans.

Pour lui, ce genre de marketing ne peut que nuire aux petites filles, que l’on pousse trop tôt vers la sexualité, tout en leur expliquant que leur corps ne suffit pas, qu’il leur faut rembourrer leurs seins…

Interrogée par CNN, Gail Dines, un professeur de sociologie, note pour sa part que c’est non seulement dangereux parce que les petites filles commencent elles-mêmes à se penser comme objets sexuels, mais également parce que cela revient à laisser entendre aux hommes que les filles qui portent ces bikinis sont déjà des objets sexuels susceptibles d’être désirées, alors même qu’elles ne sont pas encore prêtes à vivre leur sexualité :

Sur FoxNews, le Dr Janet Rose estime pour sa part que les parents qui achètent ce genre de sous-vêtements à leurs enfants devraient être dénoncés aux services sociaux, parce que cela les pousse, précocement, vers la sexualité, et qu’à long terme, cela ne peut qu’entraîner les adolescentes à avoir une bien mauvaise image d’elles-mêmes.

Patrick Wanis, “expert du comportement humain” (sic) et coach de nombreuses célébrités, estime pour sa part que ces soutiens-gorges rembourrés sont non seulement dérangeants, mais également dangereux :

Sommes-nous en train de sexualiser les petites filles afin d’attirer l’attention des hommes, ou pour encourager les femmes à utiliser leurs filles, et se projeter à travers elles, pour compenser leur propre manque de sex-appeal ?

Pour Shirlee Smith, défenseure des enfants et animatrice d’une émission sur la parentalité, le problème n’est pas tant celui d’une industrie qui va jusqu’à proposer ce genre de produits que celui des mamans qui n’hésitent pas les acheter :

J’en veux à ces mères qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs implants mammaires lorsqu’il s’agit d’acheter des soutiens-gorges rembourrés pour des filles qui n’ont même pas encore de seins.

Aujourd’hui, ce sont les mères qui paient ce genre de marketing de l’érotisation des enfants. A terme, ce seront leurs objets sexuels de filles qui le paieront.

Abercrombie Kids, qui avait déjà du retiré, il y a quelques années, des strings en taille 10 ans intitulés “clin d’oeil” et “bonbon pour les yeux” (sic), a refusé de répondre aux questions des journalistes, se contentant d’effacer sa page consacrée aux push ups.

Mais si la rubrique “push-ups” a été effacée, les trois soutiens-gorges rembourrés, par contre, sont toujours en vente.

MaJ du 29 mars : confronté à une couverture médiatique internationale, Abercrombie Kids annonce sur Facebook avoir “re-catégorisé” les 3 soutiens-gorges push-ups, qui ne sont plus disponibles à la rubrique maillots de bain de son site web.

Dans le même temps, Berjuan Toys, un fabricant de jouets vient de son côté de sortir une poupée spécialement créée pour que les petites filles puissent l’allaiter. Elles devront pour cela revêtir une sorte de soutien-gorge avec des fleurs à la place des tétons, avant de coller la bouche de leur poupée à ces autocollants afin que celle-ci puisse “téter et avaler” :

The Breast Milk Baby permet aux jeunes filles d’exprimer leur amour et leur affection de la manière la plus naturelle possible, juste comme leur maman. Cette poupée représente une révolution parce qu’elle apprend aux fillettes les compétences nourricières dont elles auront besoin pour un jour élever leurs propres bébés en bonne santé.

Découvrant que 20% des internautes se déclaraient choqués par cette initiative, le fabricant se défend aujourd’hui en expliquant que… Dieu les soutient :

On nous qualifie de pervers et de pédophiles parce que nous faisons la promotion de la façon dont Dieu veut que nos bébés soient nourris. Les églises du monde entier sont truffées d’images de Marie allaitant Jésus.

Après avoir joué à la “putain“, voici donc les petites filles invitées à jouer à la maman en nourrissant leur poupée avec de (faux) seins… se désole Crêpe Georgette, très énervée, dans un billet intitulé Allaite et tais-toi, où elle propose également à la société Berjuan Toys de créer également :

1. le téton crevassé (tant qu’à faire)
2. le poupon pénis (tant qu’à initier la femme à ses futurs rôles, autant l’initier à tous).

En Grande-Bretagne, une esthéticienne a de son côté décidé d’injecter du Botox à sa fille… de 8 ans, tous les trois mois. Ses explications démontrent là aussi une troublante confusion des genres entre la réalité de ce que vivent les enfants et les fantasmes que peuvent avoir leurs parents :

Ce que je fais pour Britney maintenant l’aidera à devenir une star. Je sais qu’un jour elle sera un top model, une actrice ou une chanteuse, et en lui faisant ces traitements maintenant je m’assure qu’elle aura l’air jeune et qu’elle gardera un visage de bébé plus longtemps.

La réaction de la petite fille est tout aussi effarante :

Je vérifie tous les soirs si je n’ai pas de petites rides, et si j’en ai je redemande plus d’injections. Avant ça faisait mal mais maintenant je ne pleure plus tellement. Je veux aussi une opération des seins et du nez bientôt, pour devenir une star.

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Des soutiens-gorge “ampliformes” en taille… 8 ans http://owni.fr/2011/03/23/erotisation-soutiens-gorge-ampliformes-taille-huit-ans-enfant/ http://owni.fr/2011/03/23/erotisation-soutiens-gorge-ampliformes-taille-huit-ans-enfant/#comments Wed, 23 Mar 2011 18:31:34 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=52812

La majeure partie des soutiens-gorge vendus en grande surface et destinés aux petites filles de 8 à 10 ans sont de type Wonderbra, dits “ampliformes“, ou “push-up“, et donc rembourrés de mousse afin de donner du volume aux petites poitrines…

Interrogés à ce sujet, la quasi-totalité des supermarchés contactés ont refusé de nous répondre. Les deux qui ont accepté d’en parler, Les 3 Suisses et La Redoute, ont aussitôt retiré ces soutiens-gorges de leurs catalogues.

Ces bikinis qui font scandale au Royaume-Uni

En avril 2010, le Daily Mail, un tabloïd britannique, dénonçait la société Primark, une chaîne de magasins de vêtements à bas prix britannique, pour avoir commercialisé des bikinis rembourrés à destination des petits filles de 7 ans, “conçus de façon à faire croire à la présence de seins sur les petites filles” qui, à cet âge-là, d’ordinaire n’en ont pas.

“En tant que défenseurs de victimes, expliquait Shy Keenan, représentante d’une organisation d’aide aux victimes de pédophiles, nous savons pourquoi on ne devrait jamais sexualiser les enfants ou participer à la banalisation de la sexualisation des enfants” :

C’est incroyable comme les marques sont maintenant prêtes à exploiter les trucs dégoûtants de pédophiles pour alimenter un marché noir qui n’a pas sa place dans notre société et encore moins à proximité de nos enfants.

Face au scandale, et suite à un appel au boycott du magasin, la chaîne Primark s’était aussitôt excusée, retirant les bikinis rembourrés de ses rayons, et promettant de reverser les profits engendrés à une association de défense des enfants.

Le Daily Mail rapportait alors que plusieurs autres chaînes de magasins avaient également, par le passé, fait scandale pour avoir commercialisé des soutiens-gorges rembourrés à l’intention de petites filles de 7 ou 9 ans.

Du 65A au 75B pour les 8-10 ans

N’écoutant que mon courage, j’ai donc entrepris de partir en grand reportage dans les supermarchés de France et de Navarre afin de constater, de visu et armé de mon smartphone photo (un véritable appareil photographique eut été trop voyant), ce qu’il en était dans nos contrées.

La tâche fut quelque peu ardue : un homme un peu barbu, frôlant la quarantaine, en train de photographier, discrètement, des soutiens-gorge pour petites filles… il me fallait être très prudent, et braver tous les dangers incarnés par ces vigiles, vendeuses, mamans et autres clients qui auraient pu mal interpréter ce pour quoi je rôdais ainsi dans les rayons lingeries pour enfants.

Le compte-rendu de mes pérégrinations est sans appel : la quasi-totalité des grands magasins dotés de rayons lingeries pour les enfants vendent eux aussi des soutiens-gorges rembourrés. On y trouve ainsi des modèles taille 65A, à destination des petites filles de 8 ans, mais également des modèles tailles 70 et 75B, à l’intention des 8-10 ans :

Dans les supermarchés low-cost (de type Babou), les rayons lingerie enfants ne proposent généralement que des soutiens-gorge type Wonderbra. Dans les hypermarchés classiques (Auchan, Carrefour, Super U…), les soutiens-gorge “ampliformes” représentent généralement la moitié du marché, et certaines grandes marques, comme DIM, Kiabi, Les 3 Suisses ou La Redoute, proposent eux aussi des modèles rembourrés, à partir de 8 ans (70A).


Aucun des supermarchés contactés par OWNI n’a daigné répondre à nos questions. Seule une responsable communication des 3 Suisses s’y est attelée. Plutôt embêtée, elle se justifie en avançant que la marque n’a fait que suivre “des études de marché” indiquant que de plus en plus de petites filles seraient formées plus jeunes, et que les soutiens-gorges “push-up” sont devenus le standard du marché.

En terme d’images, elle insiste également sur le fait qu’on ne voit pas de petites filles porter ces sous-vêtements, que rien n’est “suggéré en visuel” et qu’ils ne sont pas “hyper-pigeonnants“. Il n’empêche : suite à nos appels, La Redoute et les 3 Suisses ont tous deux retiré de leurs sites web les modèles de soutiens-gorge rembourrés de taille 10 ans/70A.

Pour Sandrine Pannetier, directrice de la stratégie pour le bureau de tendance Martine Leherpeur, qui a longtemps travaillé pour une marque de lingerie, l’explication serait à peut-être à chercher du côté de la culture et du marché asiatique :

Le savoir-faire de corsetterie est extrêmement difficile à maîtriser, et il est beaucoup plus facile de fabriquer des soutiens-gorge rembourrés, ou à partir d’une coque moulée, que non rembourrés.
De plus, quand vous avez une toute petite poitrine, et que vous voulez masquer le téton, il faut le rembourrer, ce qui fait que le marché asiatique est envahi de soutiens gorge rembourrés pour masquer les tétons, et éviter toute érotisation.

Où l’on découvre que ce qui, pour des observateurs européens, peut être interprété comme une érotisation du corps des préadolescentes relèverait, a contrario et paradoxalement, d’une forme de pudeur asiatique…


Illustration de la Une : Louison pour Owni
Retrouvez tous les articles de notre dossier:
Justin Bieber, star d’un porno ?
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Little Miss Austin

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[Infographie] Les positions féministes http://owni.fr/2011/03/08/infographie-les-positions-feministes/ http://owni.fr/2011/03/08/infographie-les-positions-feministes/#comments Tue, 08 Mar 2011 16:26:14 +0000 Admin http://owni.fr/?p=50335 Le féminisme ? Des féminismes plutôt. Multiples, complexes; revendiqués ou déniés.

A l’occasion de la Journée de la Femme, OWNI vous offre un panorama (forcément) sélectif de cet univers: des mouvements (en rouge), des auteures (en bleu), mais aussi des décisions politiques incontournables (en vert). Les premiers mouvements remontent au XVIe siècle et les derniers sont toujours en mutation.

Petite virée dans la galaxie féministe:

INFOGRAPHIE

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Infographie par Pierre Alonso, Ophelia Noor, Andréa Fradin, Sabine Blanc et Claire Berthelemy.
Design : Mariel Bluteau et Marion Boucharlat
Image de Une par Marion Kotlarski pour OWNI.



Retrouvez l’intégralité de notre dossier sur la Journée de la Femme.

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“Le féminisme, d’abord une question d’égalité” http://owni.fr/2011/03/08/le-feminisme-dabord-une-question-degalite/ http://owni.fr/2011/03/08/le-feminisme-dabord-une-question-degalite/#comments Tue, 08 Mar 2011 12:00:04 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=50113 Marion Charpenel est l’auteur d’une thèse sur le mouvement féministe en France. Enseignante à Paris 8 et doctorante à Sciences Po Paris, elle revient pour OWNI sur les représentations et les mutations de la cause des femmes.

Que signifie le féminisme aujourd’hui?

Il faut d’abord avoir en tête que tous les gens qui sont féministes ne se définissent pas nécessairement comme tel, et inversement. Le terme est tellement chargé en histoire et en représentations, pas mal de personnes engagées dans la cause des femmes ne se reconnaissent pas dans cette désignation.

Quels sont les nouveaux enjeux du mouvement ?

L’espace de la cause des femmes est relativement vaste. Globalement, on constate une répartition des tâches selon les associations, que l’on peut classer selon ces différentes sphères: la sexualité, l’avortement, la contraception, au sein d’organisation comme le Planning familial; les violences conjugales et sexuelles, avec les associations de soutien aux victimes; l’éducation et la recherche au sein d’équipes de chercheurs en études féministes; les problématiques du travail, domestique ou à l’extérieur, avec la question de la double journée; la représentation politique et syndicale, avec des associations particulièrement engagées dans la lutte pour la parité; une réflexion sur la place des femmes dans la culture et les médias et enfin, tout un pan sur la solidarité internationale, qui se focalise sur les femmes migrantes.

Donc le féminisme n’est ni dépassé, ni dissous ?

Pas du tout. La sphère est très vivace et compte de très nombreuses associations. Certaines sont de taille réduite: une vingtaine de personnes, tout au plus, qui abattent pourtant un travail assez considérable. Après, et c’est un problème, il y a en France très peu de travaux quantitatifs sur le féminisme.

Quel est l’héritage de ce mouvement ? Notamment celui résultant de ce qu’on appelle “la deuxième vague” ? On est toujours dans l’imagerie de la femme qui brûle son soutien-gorge ?

La femme qui brûle son soutien-gorge est un mythe, avant tout diffusé par les anti-féministes. En France, comme aux États-Unis, il n’y a aucune preuve que cet événement se soit déroulé.

Sur l’héritage de la deuxième vague, de nombreuses femmes qui militent aujourd’hui avaient 25 ans dans les années 1970: elles assurent donc une certaine continuité. Ceci dit, le féminisme compte aussi des plus jeunes, arrivés depuis les années 1980. Il existe une sorte d’éparpillement générationnel.

Il y a donc un héritage assumé, mais aussi quelques tensions sur ce qu’il faut ou non renier. Par exemple, quand les militantes de Ni Putes Ni Soumises ont débarqué, elles se sont définies dans un premier temps comme non féministes, puis sont revenues sur sur cette position en prenant plus de place sur la sphère publique et en échangeant d’autres féministes, avec qui elles avaient plus de points communs qu’imaginés. Des ponts se sont liés entre les anciennes et les nouvelles.

Des dissensions demeurent, mais il est difficile de savoir si elles sont liées au débat actuel ou à un conflit de mémoire. Personnellement, je pense qu’elles sont à rattacher à la difficulté intrinsèque à tous les mouvements sociaux, à savoir une volonté des anciens d’imposer leur expérience, face aux nouveaux. Ces controverses existent, mais je pense qu’il y a un accord sur l’essentiel.

Quel est-il ?

Il est difficile de tracer des caractéristiques. Mais selon moi, l’égalité reste un point fondamental, un objectif à atteindre. Cet angle n’a jamais été perdu de vue, tout comme la volonté univoque d’affirmer la femme comme sujet politique. Depuis les années 1970, il est fondamental de revendiquer le droit à la parole publique et politique, ainsi que d’affirmer que le privé est politique, déterminé par certaines décisions publiques.

Même si la définition de ce qu’on entend par “les femmes” divise parfois, l’affirmation de l’égalité reste très forte et est largement héritée de la deuxième vague.

Quelle est la place de l’homme dans le féminisme ? Existe-t-il toujours des tendances qui rejettent complètement la figure masculine ?

Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu un rejet complet de l’homme au sein du féminisme.

Dans les années 1970, le principe de non-mixité a été perçu par les hommes comme une attaque, car c’était vraiment la première fois qu’ils étaient exclus de certaines sphères. C’était alors une nécessité pour les femmes qui voulaient être entendues, puisque là où il y avait des hommes, il était impossible de s’exprimer. C’était une façon de se réapproprier la parole et cela a été vu comme anti-hommes. Le fait que les féministes en jouent, avec des slogans humoristiques et provocateurs, n’a évidemment rien arrangé. Donc cette image colle un peu au mouvement. Pourtant, les feministes françaises ont toujours dit que leur engagement et l’épanouissement de la femme en résultant, allaient aussi être bénéfiques pour les hommes.

Il y avait quand même bien des mouvements excluant totalement la figure masculine ?

C’est vraiment juste une conséquence de la non-mixité, qui a créé le sentiment d’exclusion des hommes. Les femmes ont certes eu le besoin de militer entre elles dans les années 1970, elles avaient l’impression d’être moins soumises à des rapports de pouvoir. C’était certainement juste une impression, mais elle était nécessaire. A la fin des années 1980, les mouvements se sont mixisés: la plupart aujourd’hui sont mixtes.

Aujourd’hui, la réflexion queer semble avoir de l’importance au sein du féminisme: cela signifie-t-il que le fait d’être femme a été dépassé par l’individu et la valorisation de sa singularité ?

C’est une des conséquences, oui.

Le mouvement queer affirme qu’il n’y a pas de genre spécifique défini, pas de masculin et de féminin, mais bien davantage un continuum: 40% de féminin, 60% de masculin, etc. Il remet en cause l’idée d’une séparation nette du genre et conteste l’enfermement des identités, dès le plus jeune âge, avec l’attribution de jouets très différenciés par exemple.

Au-delà du queer, tout le mouvement considère que le projet féministe est humaniste, que le monde en sortira globalement grandi. C’est ce que disaient les féministes radicales dans les années 1970: une fois l’inégalité hommes/femmes brisée, toutes les inégalités pourraient être mises à plat.

La tendance queer les rejoint dans la mesure où elle refuse l’enfermement dans une indentité, et affirme que les choses sont plus complexes que deux genres.

Comment est perçu le mouvement aujourd’hui? Suscite-il l’adhésion et l’enthousiasme, notamment chez les plus jeunes?

Pour fréquenter le milieu depuis plusieurs années, j’ai l’impression que de plus en plus de jeunes se tournent vers le féminisme. Depuis deux, trois ans, il y a un réel regain d’intérêt pour ces questions là.

2003, c’est le lancement de Ni Putes Ni Soumises, qui a réussi à sensibiliser une partie de la population qui était étrangère à tout l’héritage de la deuxième vague, notamment les femmes immigrées.

On remarque aussi que depuis peu, les jeunes femmes actives de 24-25 ans, issues des classes moyennes-supérieures, qui travaillent, découvrent la double journée de travail et constatent les différences de salaire avec leurs anciens camarades de classe, sont de plus en plus sensibilisées à ces questions.

La publicisation des grilles de salaires, et des différences, a aussi beaucoup joué.

Aujourd’hui, des associations jeunes comme Osez le Féminisme rencontrent un certain succès. A l’occasion de leur dernière assemblée générale, il y avait entre 125 et 150 personnes, ce qui est beaucoup pour une organisation féministe, surtout aussi jeune.

D’autres explications à ce regain d’intérêt?

Il y a aussi le fait que les mouvements féministes ont réussi à développer des modes de militantisme permettant aux femmes de s’engager malgré un agenda surchargé. Dans les années 1980, qui correspondent à un creux militant, les anciens se plaignaient de la réticence des plus jeunes à s’engager. Il y a eu adaptation: les réunions sont plus courtes, il y a une forte utilisation d’Internet, etc.

Le développement de masters d’études des mouvements sociaux et dse genres, en sciences politiques, sociologie, psychologie, ont également permis d’interpeler les étudiants. C’est une voie d’accès au féminisme toute récente.

Certaines personnes estiment que le féminisme cherche à imposer une nouvelle forme de domination, des femmes sur les hommes. Qu’en pensez-vous ?

C’est beaucoup de mauvaise foi. Les féministes n’ont jamais dit cela. Il ne faut pas oublier que le terme “égalité” est celui qui revient le plus fréquemment dans leur discours.

Mais comme tout mouvement subversif, qui dérange l’ordre établi, il entraîne évidemment de nombreuses critiques. Après, les féministes sont aussi responsables de quelques maladresses. Chaque partie en a pour son compte. Mais selon moi ces représentations sont surtout une manière de contrer le côté subversif du mouvement.

D’autres, notamment des jeunes femmes, estiment que se définir uniquement en tant que féministe revient à se diminuer en tant qu’individu…

Oui, et d’autres vont dire l’inverse: que se dire féministe, c’est devenir masculine. Les critiques sont contradictoires, je vois mal comment y répondre.

Ce que je peux dire, c’est que le féminisme se définit en fait assez simplement: c’est un mouvement qui vise l’égalité homme/femme, qui lutte contre les violences, les inégalités salariales… Qui cherche à atteindre des choses très concrètes. Quiconque critique le féminisme ne peut pas nier l’existence de ces aspects très réels.

Le féminisme est un gros mot ?

C’est plus difficile de se définir aujourd’hui comme féministe qu’avant. Moi-même, en décrivant mes thèmes de recherche, je m’entends dire: “mais tu n’es pas féministe tout de même?” Ou bien encore “mais vous avez déjà tout, que vous faut-il encore?” Cela explique pourquoi tant de femmes féministes refusent de se qualifier comme tel. Le simple fait de se désigner ainsi est déjà subversif. Déjà un acte d’engagement fort.

Cela est certainement dû à l’ancrage profond de l’idée que les femmes ont déjà tout acquis. Tout simplement parce que oui, en droit, les choses sont acquises. Reste à les faire basculer dans les faits.


Illustrations CC FlickR: CarbonNYC, oceanyamaha, Neverending september, KLHint

Image de Une par Marion Kotlarski pour Owni

Retrouvez l’intégralité de notre dossier sur la Journée de la Femme.

Téléchargez l’infographie des Positions féministes. (cc) Mariel Bluteau pour Owni /-)

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